Un coffret regroupant trois films de Fassbinder, dont le célèbre Lili Marleen, permet de tracer un portrait du prolifique cinéaste allemand, en proposant notamment de nombreux témoignages d’admirateurs. Une porte d’entrée idéale dans une œuvre réputée dense.
Les films de Fassbinder ont déjà fait l’objet de plusieurs éditions DVD, dont une très fournie « Collection R.W. Fassbinder », qui reprenait sur 18 disques une large partie de sa filmographie, le tout disponible dans un coffret collector limité à 2000 exemplaires (toujours trouvable à l’heure actuelle), ou répartis dans quatre coffrets thématiques. Mais si ces coffrets semblaient faire le tour de l’œuvre du cinéaste allemand, ils n’en offraient cependant qu’une petite partie, la filmographie de Fassbinder se chiffrant à 43 films.
Ainsi, les trois films que propose Opening dans ce nouveau coffret étaient jusqu’à présent inédits en France. Il s’agit d’un des films les plus célèbres de Fassbinder, Lili Marleen, qu’accompagnent deux films plus anciens, Whity et Pionniers à Ingolstadt. À eux trois, et c’est une des prouesses de ce coffret, ces films a priori sans liens vont réussir à donner une image assez juste et représentative de l’univers fassbinderien.
Whity et Pionniers à Ingolstadt ont tous deux été tournés en 1970, année particulièrement prolifique pour Fassbinder puisqu’il réalisa huit films (chose complètement impensable aujourd’hui) pour la télévision et le cinéma, et nous donnent une idée de l’énergie créatrice dont il faisait preuve, associée à cette volonté d’essayer un grand nombre de genres cinématographiques : la fresque historique pour Lili Marleen, la fable sociale pour Pionniers à Ingolstadt, ou encore le western pour Whity.
Ces trois films illustrent également l’idée que Fassbinder s’est très tôt constitué une troupe de techniciens et de comédiens : Hanna Schygulla, l’héroïne de Lili Marleen, tournait déjà dans ses premiers téléfilms, en compagnie d’une autre figure fassbinderienne, Günther Kaufmann, qui occupa un grand rôle non seulement dans l’œuvre, mais aussi dans la vie du cinéaste, puisqu’il fut son amant, à une époque où celui-ci était marié à Ingrid Caven. Il est d’ailleurs intéressant de constater que Kaufmann, comme c’est souvent le cas lors d’associations privilégiées entre un acteur et un réalisateur (voir le cas Jean-Pierre Léaud et Truffaut, ou plus près de nous Kyle MacLachlan et Lynch) n’a pas réussi à réellement relancer sa carrière après la mort de Fassbinder en 1982, allant même jusqu’à jouer dans la série Derrick, sorte de contrat de la dernière chance pour un comédien.
Autre célèbre collaborateur de Fassbinder, le musicien Peer Raben signe ici la musique de Whity. La musique, fondamentale chez Fassbinder, passe aussi par l’utilisation de morceaux chantés. Ainsi, dès les premières minutes du générique de Whity, une chanson (interprétée en anglais, on est dans un western après tout) nous renseigne sur l’intrigue à venir du film. Quant à la chanson Lili Marleen, ultra-célèbre en Allemagne, elle va jusqu’à donner son nom au titre du film.
Fassbinder aimait se donner des rôles dans ses films. Il s’agissait la plupart du temps de simples apparitions ou de cameos, et c’est la raison pour laquelle son nom ne figure pas au générique en tant qu’acteur. Simple consommateur dans le saloon de Whity, Fassbinder s’est donné un rôle un peu plus étoffé dans Lili Marleen, où il incarne Weissenborn.
Mais outre le choix judicieux de ces films, la vraie bonne idée de ce coffret réside dans ses suppléments, répartis sur les trois disques : on les doit au réalisateur/acteur/scénariste/écrivain (et avant tout grand cinéphile) Noël Simsolo, qui dans un premier temps fait une présentation de chaque film, permettant au passage de le resituer dans l’œuvre abondante du réalisateur, avant d’en aborder les spécificités.
La parole est ensuite donnée aux admirateurs de Fassbinder, qui évoquent devant la caméra leur rapport à son œuvre. On y croise des romanciers (Martin Winckler et Jean Échenoz, qui confie avoir vécu la mort du cinéaste comme un deuil), des cinéastes (Laurent Perrin et Serge Le Peron, auteurs respectivement de 30 ans et J’ai vu tuer Ben Barka), ainsi que Pierre-Henri Deleau, qui fut le directeur de la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes, et Simsolo himself.
En croisant ces multiples points de vue sur l’œuvre et la personne de Fassbinder, on finit par obtenir un portrait assez juste. Un regret subsiste cependant : on aurait aimé entendre également François Ozon, qui fait figure de véritable héritier, en ayant porté à l’écran le scénario du maître Gouttes d’eau sur pierres brûlantes, mais aussi en partageant avec lui, toutes proportions gardées pour l’époque, le même appétit et la même envie d’enchaîner les tournages.