Après une sortie en salle plutôt confidentielle en raison d’un nombre de copies restreint (mais qui servait toutefois le propos intimiste du film), MK2 sort une double édition DVD très complète du chef-d’œuvre de Philippe Garrel.
Le premier disque comprend le film, préfacé par le critique de cinéma Philippe Azoury, ainsi que sa bande-annonce. Techniquement, le magnifique travail sur l’image du chef-opérateur William Lubtchansky est rendu très fidèlement, et l’émotion qu’ont pu ressentir les spectateurs qui ont découvert le film en salle se renouvelle lors du visionnage du DVD : expérience rare que celle d’avoir l’impression de voir un film tout droit sorti de l’époque qui lui sert de toile de fond, la fin des années soixante. Impression d’autant plus troublante ici, tant la plupart du temps le travail de restauration opéré sur les films de cette période lors de leur passage sur le support DVD « gomme » l’ancienneté du grain de la pellicule lors de sa remasterisation. Ici, l’image nous replonge pleinement dans l’évocation nostalgique de la révolution avortée de 68, le temps n’a plus d’importance, et la magie opère à nouveau. Quant au son, il est en stéréo. Un mixage 5.1 aurait paru anachronique d’une certaine façon.
Le deuxième disque est quand à lui riche en suppléments. On y trouve pour commencer 6 Cinématons de Gérard Courant. Depuis 1978, cet artiste réalise des portraits filmés de personnalités artistiques, muets et en plan fixe, d’une durée de 3 minutes et demie, durant lesquelles « le sujet filmé propose un grand moment de vérité de son être ». La collection compte aujourd’hui quelques 2000 portraits, et c’est ici ceux de Philippe Garrel, Daniel Pommereulle, Jackie Raynal, Patrick Deval, Frédéric Pardo et Serge Bard (devenu Abdullah Siradj après sa conversion à l’islam) qui nous sont proposés. Le point commun entre ces différents artistes réside dans leur appartenance au groupe Zanzibar, né de la mouvance intellectuelle de mai 68, qui avait pour particularité de compter parmi ses membres des écrivains, des peintres et des cinéastes.
Un documentaire de 29 minutes signé Jackie Raynal et intitulé Zanzibar revient sur les origines de ce mouvement. À l’origine, une maison de production, créée dans le but de tourner le film de Serge Bard Détruisez-vous, et un nom, tiré d’une lettre de Rimbaud. Le documentaire alterne images d’archives et témoignages d’anciens combattants (de mai 68): Patrick Deval, Alain Jouffroy, Olivier Mosset, Serge Bard, Jackie Raynal et Caroline de Bendern (la Marianne au drapeau vietnamien de Mai 68, c’est elle).
Ayant trouvé en Sylvina Boissonnas leur mécène, ces jeunes artistes eurent tout loisir de réaliser leurs films dans la plus grande liberté, sans aucun souci de rentabilité, avec un ton tranchant et incorrect, révolutionnaire et visionnaire, souvent psychédélique, où l’humour fait figure de défense contre la pesanteur de l’époque. À l’époque projetés à la cinémathèque, ces films sont devenus pour la plupart invisibles aujourd’hui. C’est donc un petit miracle que le moyen métrage Vite de Daniel Pommereulle ait « atterri » dans les suppléments de ce DVD. Tourné au Maroc en 1969, il nous donne une idée de la tonalité des films que tournaient les artistes du mouvement Zanzibar, dignes héritiers des surréalistes, et qu’on peut dans une certaine mesure comparer à la faune qui bouillonnait autour de la Factory de Warhol au même moment à New York, les connexions entre les deux groupes pouvant être aussi sentimentales : le flirt entre Caroline de Bendern et Lou Reed, mais surtout la relation entre Philippe Garrel et Nico.
Pour compléter le tout, l’éditeur a eu la bonne idée d’ajouter la conférence de presse enregistrée lors du Festival de Venise 2005 (où Garrel se vit attribuer le Lion d’Argent du meilleur réalisateur), ainsi que des interviews de Clothilde Hesme et Louis Garrel.