La Horde sauvage est sans doute le « western crépusculaire », par excellence, et l’un des films les plus connus de Peckinpah. Près de quarante ans après sa réalisation, que reste t-il à dire sur le film ? Pour Fabrice Revault, pas mal de chose, et le tout avec le sourire.
1969. Les années 1960 prennent fin, et avec elle sonne le glas de l’American way of life, et son de son hégémonie sur le monde. Rétrospectivement, la guerre du Viêt-Nam apparaît comme le début réel de la déliquescence de la toute-puissance de l’après-Seconde Guerre mondiale pour l’Oncle Sam. C’est également rétrospectivement que 1969 marque une date dans le monde du cinéma, et plus particulièrement de ce genre si américain qu’est le western. L’individu seul en butte au monde, le fantasme de la conquête vers l’ouest, le désir de pallier l’absence d’histoire réelle pour une nation avec une histoire fantasmée… Les belles années du genre sont derrière lui, nous dit-on. Et parmi les plus définitifs de ses fossoyeurs, Sam Peckinpah.
Peckinpah, le mauvais garçon du western, l’apôtre d’une violence choquante univoque et complaisante, réalise cette année-là un western définitif, La Horde sauvage. Une bande de hors-la-loi, menée par le vieillissant Pike Bishop (William Holden), sévit à la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Alors que son « dernier coup » – il voulait se retirer – rate complètement, Bishop et sa bande de vieux briscards s’acoquinent avec la junte militaire mexicaine, pour finir par prendre le parti du peuple contre les galonnés, dans une ultime révolte suicidaire.
« Western crépusculaire » : l’expression semble avoir été inventée pour le film de Peckinpah. Qu’est-ce qui n’a pas été dit que La Horde sauvage, sur ses anti-héros fatigués et ambigus, sur sa violence impressionnante, sur ce film symbole de la dernière révolte de personnages archétypaux contre l’issue forcément tragique de leur existence (l’action se situe au début du XXe siècle, fin de la période « dorée » des bandits de grand chemin aux États-Unis) ? Le film a déjà fait couler beaucoup d’encre, que reste t-il à Fabrice Revault, enseignant et essayiste de cinéma, à dire sur cette œuvre ? La réponse est simple : loin de rajouter une pierre nouvelle à l’édifice critique déjà abondant autour du film, Revault prend le parti d’en rire. C’est l’axe central de son approche : la vraie richesse de La Horde sauvage est le rire de ses protagonistes face à leur mort certaine, à la vacuité de leurs actes manqués. Nihilisme démesuré ? Mélancolie définitive ? Non point. Il s’agit avant tout pour ces vieux bandits d’accéder à une nouvelle forme de félicité, de paix. « Nous rêvons tous de redevenir des enfants, même les pires d’entre nous. Surtout les pires d’entre nous » lâche le chef du village mexicain où s’est réfugiée la horde, alors qu’il discute avec Pike Bishop. Cette phrase est le concept clé du film pour Revault, la clé de voûte de son analyse en tant que croisement entre tragédie grecque et théorie nietzschéenne.
Il s’agit surtout pour lui de souligner combien les actions de la horde ne sont pas dictées par un désespoir sombre et univoque, comme le voudrait l’approche nihiliste crépusculaire du film, mais bien une ultime forme de jouissance, de retour à l’enfance, une dernière occasion de s’amuser franchement, le sourire aux lèvres. Si la horde choisit de prendre fait et cause pour le peuple contre les militaires, sachant pleinement l’issue tragique qui les attend, ce n’est pas en premier lieu pour une raison morale – bien que le film opère un glissement subtil dans les repères moraux et qu’il transforme subrepticement ses meurtriers hors-la-loi en justiciers – mais bien parce que cela les amuse. Non que cela fasse d’eux des inconscients, au contraire. Acquérant par leurs actions une dimension antique, tragique au sens original, bacchanal du terme, ils sont à la fois des adultes fatigués de lutter, et des enfants qui, comme seuls les enfants peuvent l’être, sont conscients de la gravité morbide inhérente à toute forme de jeu.
Est-ce pour autant que l’essai de Fabrice Revault tombe dans une démonstration d’érudition stérile – comme cet article menace de le faire ? Fort justement, Revault s’applique ses propres recettes quant à la sagesse de l’existence : apprenons donc à rire. « Que ma propre conscience malheureuse s’ouvre toujours plus à cette force heureuse ! (J’y veille, j’y travaille) » lance-t-il, rieur, dans sa longue conclusion. La langue de Fabrice Revault est précise sans être ampoulée, sa rhétorique manifestement passée à l’épreuve du feu oral, le flot de son essai facile d’approche, souple, envoûtant et finalement passionnant. L’essayiste fait mine de ne pas vouloir faire suite aux autres ouvrages déjà consacrés à Peckinpah, de ne pas pouvoir se comparer à ces ouvrages critiques « sérieux » : c’est tout à son honneur, mais il convient de noter que son érudition propre et la finesse de son analyse sont tout à fait respectables, même s’il ne s’en gargarise guère.
Ouvrage de passionné militant (ou pas, car qu’y a-t-il de moins propre au rire que le militantisme ?), La Horde sauvage, de Sam Peckinpah peut évidemment être vu comme une réponse à une tendance à l’analyse filmique nombriliste et au sérieux parfois aride. Mais en conclusion, ce n’est pas ce qui ressort de cet essai. C’est, surtout, une belle déclaration d’amour à un film plus gai et plus subtil que ce que l’on a voulu dire, un exemple d’une littérature cinéphile érudite, mais agréablement accessible. On sent dans ces lignes la passion qui a présidé à leur rédaction, une passion communicative, et qui ne donne finalement rien plus qu’envie de revoir La Horde sauvage. Dont acte.