Sam Peckinpah, cinéaste de la violence ? Bien entendu. Peckinpah, cinéaste ayant révolutionné les scènes d’action par l’introduction de ralentis ? Bien sûr. Peckinpah, cinéaste qui criait sur les écrans son besoin de liberté contrarié par l’évolution capitaliste du monde en général et des studios en particulier ? Évidemment. Si ces affirmations sont difficilement contestables, l’analyse de son œuvre tend à être un peu réduite à ces grilles de lecture maintenant solidement établies dans le paysage critique. Capricci édite – à l’occasion de la rétrospective organisée cet été par le Festival du Film de Locarno et reprise en ce moment à la Cinémathèque française – un nouvel ouvrage sur l’auteur de La Horde sauvage, sobrement intitulé Sam Peckinpah. L’absence de sous-titre traduit la démarche des auteurs : il ne s’agit jamais d’affirmer un propos tranché mais plutôt d’ouvrir de nouveaux angles d’exploration du cinéma de Peckinpah, infiniment plus riche et multiple que ne le laissent entendre les quelques mots-clés sempiternellement attachés à son œuvre.
Pour ce faire, le livre s’articule principalement autour de trois essais, chacun consacré à une période de la carrière du réalisateur. Le premier texte – écrit par Chris Fujiwara – ne convainc pas pleinement. Un peu à la manière du cinéma de Peckinpah, il ouvre de nombreuses pistes qu’il n’explore pas plus avant. Si certaines sont pertinentes, d’autres sont moins évidentes et relèvent plus souvent du commentaire sur un aspect précis d’un ou deux films que d’une analyse fouillée sur le style du cinéaste. Le texte d’Emmanuel Burdeau, centré sur l’apogée de la carrière de Peckinpah – de La Horde sauvage à Pat Garrett & Billy the Kid – est quant à lui lumineux. Jonglant avec les mots, Burdeau cristallise brillamment ses réflexions dans des termes simples et parlants. Extrait choisi : « […] “enchaîner” est la grande affaire de Sam Peckinpah dans ces années médianes […]. Premier sens : le mot nomme la capacité qu’a le cinéma d’articuler des images et des sons afin de suggérer entre eux des rapports neufs. Deuxième sens : enchaîner nomme ce que la société fait à l’homme quand elle l’enferme […]. L’art qui émancipe […] s’oppose au pouvoir qui assujettit. Le premier enchaînement prépare et même accomplit, déjà, un déchaînement […]. » Deux mots, enchaînement et déchaînement, si simples mais si judicieux pour appréhender l’art de Peckinpah. Deux mots pour dire que Peckinpah ne se contentait pas d’écrire (ou réécrire) des scénarios pour clamer son inadéquation au monde moderne, mais qu’il la traduisait également en solutions visuelles. Deux mots pour parler de ces personnages enchaînés, à qui l’on impose la fixité d’un environnement ou d’une époque, et qui vont physiquement – par la violence – se déchaîner pour se désenchaîner ; ou qui vont mentalement – grâce au montage – côtoyer d’autres lieux, d’autres possibles et d’autres temps. Burdeau parvient également à ne pas se laisser emporter par un élan hagiographique et à différencier les mérites de scènes ou de films majeurs (comme Les Chiens de paille ou l’époustouflante introduction de Guet-apens, qui fait l’objet d’une analyse poussée) et mineurs (comme Un nommé Cable Hogue ou Junior Bonner, le dernier bagarreur). Christoph Huber livre le dernier texte consacré à la fin de carrière de Peckinpah. Il y décrypte principalement l’impact des dérives personnelles du réalisateur sur son travail, tout en proposant quelques pistes iconoclastes, comme une lecture d’Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia en buddy movie régressif et décalé.
L’ouvrage, coordonné par Fernando Ganzo, est complété par trois interviews (une de Peckinpah lui-même datant de 1979, une de Gordon T. Dawson, l’un de ses assistants, et la dernière de Kris Kristofferson), par des encarts intitulés « récits de tournage » – regroupant des éléments de contexte et des anecdotes de production – et par un papier retraçant l’historique des réalisations télévisuelles de Peckinpah signé Jean-François Rauger. L’intérêt des rétrospectives de cinéastes renommés est indéniablement de jeter un bref éclairage sur les parties les plus méconnues de leurs œuvres. Dans le cas de Peckinpah, c’est l’occasion de découvrir ses feuilletons et téléfilms, dont certains, justement mis en avant dans ce livre, portent nettement la patte de leur auteur. On recommande ainsi fortement le téléfilm de 1966 Noon Wine, et les épisodes Jeff et Hand on the Gun du feuilleton The Westerner (1960). On regrette enfin que Fernando Ganzo n’ait pas plus développé dans son introduction l’idée de centralité de la mort (et non pas de la violence) dans le cinéma de Peckinpah. Nous avions déjà évoqué cette piste dans notre analyse de Pat Garrett & Billy le Kid, et il serait intéressant de la voir étendue au reste de son œuvre.