Depuis 2005, les éditions Yellow Now ont pris l’habitude de livrer de petites monographies autour de films majeurs dans la collection Côté films, avec une approche souvent originale. Le Miroir, considéré comme l’œuvre la plus personnelle d’Andreï Tarkovski, avait été oublié jusqu’ici. La chose est désormais réparée par Jean-Christophe Ferrari.
L’excellente préface d’Antoine de Baecque, comme souvent à son aise et lui-même auteur d’une monographie à propos du cinéaste soviétique, commence ainsi : « Écrire un livre sur Tarkovski… Il y en a déjà tant. Celui-ci est un livre de plus, mais il ose dire des choses nouvelles […]. » Et il est vrai que ce petit ouvrage d’une centaine de pages, qui s’apparente davantage à un essai libre qu’à une analyse méthodique du film, est plutôt stimulant. À noter que la richesse de l’iconographie est une véritable valeur ajoutée ; près de quarante pages sont en effet consacrées à plus d’une centaine de photogrammes issus de certaines séquences étudiées ou évoquées. Ceci permet au lecteur de se repérer dans le déroulement très discontinu du film et d’y naviguer avec davantage d’aise. Autre atout éditorial, les poèmes du père du cinéaste, Arseni Tarkovski, qui rythment Le Miroir sont également reproduits intégralement. Les principes de contagion et d’articulation entre le verbe et l’image, tout à fait déterminants dans ce film, se trouvent ainsi considérablement enrichis.
Constitué de quatre chapitres principaux, de tailles très variables, le livre débute par une partie, la plus longue, dans laquelle Jean-Christophe Ferrari établit une mise en place particulièrement efficace des enjeux narratifs et esthétiques du Miroir, rappelant que s’il s’agit d’un film complexe, cela ne « signifie pas obligatoirement difficile ». Un rappel salutaire tant on rencontre encore appréhension et timidité face à une œuvre qui nécessite certes une forme de disponibilité particulière, mais qui n’est en rien élitiste (c’est le genre de reproches que les autorités bureaucratiques soviétiques faisaient au cinéaste, choisissez votre camp…). Tarkovski lui-même énonçait clairement « ce que raconte » son film : « l’histoire du tourment d’un homme qui souffre de son incapacité à ne pouvoir récompenser la générosité de ses proches à son égard, et qui croit ne pas les avoir assez aimés. Une idée qui l’obsède et le torture. » Ce qui rend le film complexe est son aspect très éclaté et fragmentaire qui ouvre la voie au temps et à la mémoire.
Aussi l’auteur relativise d’une manière convaincante le fait que Tarkovski soit considéré comme un cinéaste du plan. C’est par le recours au montage, par la mise en relation des différents segments et statuts d’images (particulièrement nombreux dans Le Miroir), que la vérité et le réel, à partir d’un matériau très onirique, sont approchés. Les trois parties suivantes constituent sans doute les plus novatrices, mais ce sont aussi les plus courtes. Dans le dernier chapitre, il est même assez frustrant que l’idée d’érotisme, une approche tout à fait originale de Tarkovski – Jean-Christophe Ferrari réfutant à cette occasion l’idée de l’asexualité de son œuvre, hypothèse formulée par le philosophe slovène Slavo Zizek –, ne soit pas davantage approfondie. On aurait pu imaginer l’élargissement des notions d’abandon et de dépossession à d’autres éléments que les seuls personnages féminins, notamment ces motifs organiques et sensuels que sont la Terre et la Russie chez Tarkovski.