De nombreuses publicités réalisées par David Fincher sont consacrées à des marques de mode : Gap, Nike ou encore Adidas, à quoi il faudrait adjoindre Xelibri, ligne créée par Siemens qui commercialisait des téléphones stylisés vendus comme accessoires de mode, non plus orientés vers le service mais bien destinés à l’apprêt. Le fait que la fin première de ces portables consiste à être regardés implique pour la publicité une trame figurale centrée autour du regard : de son objet à sa visée intentionnelle, il détermine généralement le mode d’être des figures.
Beauty for sale s’ouvre sur trois femmes, visiblement observées par un homme qui leur fait face depuis une vitre. Le visage flou de l’homme se superpose dans un premier temps aux femmes nettement visibles avant qu’il ne gagne lui-même en netteté, inversant la dynamique de la scène en faisant des femmes désormais floues les nouvelles observatrices. Autrement dit : le reflet de l’homme sur le verre le positionne en tant que regardant jusqu’à ce que le plan change de focale pour le transmuer en regardé. Le changement de point de vue procède d’un effet de symétrie inversée, puisque l’homme a légèrement fait pivoter sa tête au moment où il est devenu net, manifestant un retournement de l’image malgré l’absence de coupe, si bien qu’on croirait se trouver de l’autre côté de la vitre. Ce procédé est accentué par le regard des femmes, orienté vers l’homme alors que celui-ci s’observe lui-même en palpant sa peau devant la vitre. D’où il suit que le premier plan induisait le spectateur en erreur, rendu coupable de ses préjugés genrés : ce ne sont pas les femmes qui sont figurées comme objets d’un désir masculin, mais bien le personnage masculin qui se trouve être objet du désir féminin et de sa propre contemplation.
Il se tourne ensuite vers la rue, où des véhicules volants se substituent à nos voitures. Alors qu’il s’apprête à commander un taxi en levant la main, un bruit de déchirement vient percer la trame du visible et suggérer qu’il aurait arraché le tissu de sa manche. Il appelle alors sa supérieure et, arrivé face à elle, lui montre une forme de tumeur sous son bras : sa peau elle-même semble s’être déchirée, laissant apparaître un large amas de graisse. L’homme, dont on découvre alors qu’il s’agit d’un mannequin, doit avant de défiler masquer cette excroissance par le truchement d’un tissu agrafé à son torse.

Quelques secondes avant son entrée sur le podium, il se trouve face à un rideau blanc sur lequel apparaît l’ombre d’une autre mannequin, réduite ainsi à une silhouette (c’est-à-dire une image désincorporée). Elle cède alors sa place à la figure masculine, qui défile une première fois, puis une seconde, affublée d’un large morceau de scotch noir, dont tous les mannequins se voient parés à leur tour jusqu’à être acclamés par le public. Par un effet de mimétisme, le public réagit aux attitudes des mannequins et produit des gestes semblables (ils balancent leurs bras à l’image de ces derniers), contribuant à amenuiser la distinction entre regardant et regardé.
Le plan des mannequins applaudis disparaît dans une fermeture à l’iris sur une mannequin nue à qui l’on ouvre le dos grâce à une tirette. Le plan est dès lors englouti par le dos de la jeune femme, comme si son ouverture induisait la nécessité de clore le défilé de mode.
Ces beautés disparaissent ainsi au moment où leur déguisement — uniquement destiné à répondre aux exigences physiques du monde de la mode — leur est ôté. Sous les peaux-parures retirées des figures en présence, jaillissent des corps imparfaits, des visages enlaidis et diamétralement différents des premiers : un homme porte son masque de peau au-dessus du crâne, une femme noire filiforme affiche des jambes blanches et grasses, etc. L’abandon du vêtement revient à l’adoption d’un nouveau mode d’être puisque, ce faisant, les mannequins délaissent dans leur mue reptilienne leur fonction de modèles (images) au profit de leur propre chair, qui ne les dispose plus à être vus.
On retrouve à ce moment-là le protagoniste masculin qui, à son tour, ôte la peau de son visage pour dévoiler sa véritable identité. Assis face à un miroir (en écho direct avec le premier plan), il ne s’y reflète pourtant pas, et ce malgré le travelling arrière qui balaye scrupuleusement la pièce. Là où l’ouverture faisait de l’homme l’objet du regard depuis son reflet même, le personnage semble désormais, après que son visage a été rendu visible, incapable de se contempler, empêché qu’il est cette fois par l’absence de reflet. Comme lui, les autres mannequins sont positionnés, au moment de leur transformation, devant un miroir qui ne les reflète pas, à la différence des maquilleurs et costumiers, toujours demeurés en chair.
Beauty for sale s’achève sur un floutage soudain du plan, sur lequel se superpose l’image des téléphones stylisés promus par la publicité et du slogan That’s so tomorrow. La superposition de l’image des téléphones sur celle de l’homme enlaidi permet une lecture de son évolution figurale selon le modèle suivant :
1) regardant (flou devant une vitre, face aux femmes nettes)
2) regardé (net derrière une vitre, face aux femmes floues)
3) donné en chair (sans reflet)
4) effacé (en arrière-plan flou, cédant devant l’avancée des téléphones)
L’homme, qui avait été donné en chair par la négation de son image (jusqu’alors rassemblant son seul mode d’être), se trouve cette fois-ci intégralement effacé lorsqu’il disparaît au profit du téléphone. Cette substitution de la machine à l’homme rejoint la logique générale du montage, construite sur un enchaînement d’images saccadées qui, scindées en leur centre, viennent, suivant le modèle des nappes musicales répétitives, briser la limpidité de l’action en assimilant les figures humaines à des robots. La visée publicitaire s’accomplit ultimement dans le passage de la physicalité des figures aux objets technologiques futuristes, qui s’approprient, selon leur programme même (Beauty for sale), l’entièreté des regards en présence. C’est dès le début, dans sa stratégie causale et dans la proximité figurale établie entre mannequins et téléphones, que la publicité appuie la singularité de son produit.