Dans la forêt de Hambach, en Allemagne, un journaliste réalisant un documentaire sur l’une des plus grandes zones à défendre d’Europe tombe de quinze mètres de haut. Lonely Oaks s’ouvre sur la récupération de sa caméra et la découverte du corps par la police, alors occupée à évacuer de force les militants anarchistes bloquant, depuis les arbres, la progression d’une immense mine de charbon à ciel ouvert. À partir de cette vision tragique, le film retrace les mois ayant précédé la mort de Steffen Meyn en 2018, de ses premières images tournées avec sa caméra 360° jusqu’à ses nuits passées au sein du camp. Cette ZAD a pour particularité de s’établir aussi bien sur la terre ferme qu’en hauteur, dans des cabanes de fortune accessibles à l’aide d’un arrangement précaire de câbles et de planches de bois. La moindre ascension de Meyn s’observe dès lors avec le souvenir en tête de la chute sur laquelle s’est ouvert le documentaire, qui alterne entre les images tournées par le journaliste au sein de la ZAD (échanges avec les occupants, gestion du campement, affrontements avec la police) et une série d’entretiens, menés a posteriori, avec une poignée de militants ayant croisé sa route.
Bicéphale, le film semble hésiter entre focalisation interne et mise à distance : d’un côté, Lonely Oaks nous donne à voir l’occupation forestière depuis le regard de Steffen Meyn, sa caméra étant la plupart du temps fixée à son casque ; de l’autre, le film cherche à prendre du recul en faisant intervenir des témoins au montage, mais aussi en voix-off, comme pour relativiser la dimension sensationnelle d’un documentaire vu à travers les yeux d’un mort. Quand bien même elles reposent – notamment lors de l’assaut final de la police – sur un suspense un brin opportuniste (l’attente de la mort attendue de Meyn), les archives laissées par le défunt restent pourtant, sans commune mesure, plus fertiles et troublantes que les interventions particulièrement consensuelles de ses camarades. Cela tient en grande partie à la plasticité singulière des images tournées en forêt : la courte focale repliée sur elle-même de la caméra 360° transforme la ZAD en une sorte de bulle tremblante, comme une utopie fragile et vacillante. C’est d’ailleurs dans les scènes où Meyn, peu adroit dans les arbres lors de son arrivée dans la zone, risque déjà de tomber, que Lonely Oaks tire probablement son fil le plus poignant : lors d’une montée vertigineuse, la caméra s’accroche accidentellement à une branche puis tombe par terre. Le lien est rompu avec le filmeur mais la caméra, tournée vers la canopée, continue de filmer. Ce qu’avait compris Meyn à travers son engagement sans faille se tient peut-être tout entier dans ce regard que rien ne semble pouvoir ébranler : insensibles à la chute, les images survivront.