Consacré au procès de la junte argentine qui s’est tenu en 1985, The Trial est un modèle de sobriété : entre deux cartons informatifs placés au début et à la fin, dix-huit chapitres d’une durée quasi égale s’étendent sur 180 minutes intégralement constituées des archives filmées du procès. La première qualité du film tient notamment à la préservation du caractère hasardeux des images VHS, dont les quelques aberrations graphiques occasionnent parfois de beaux échos avec ce qui se joue entre les murs du tribunal (des bandes signalétiques qui déforment les visages des juges lors de l’évocation d’un récit de torture, les traînées rouge sang des luminaires lors des mouvements de caméra qui s’attardent sur le groupe des accusés, etc.). Comme Sergeï Loznitsa avec The Kiev Trial (présenté à Venise l’an dernier), Ulises de la Orden fait de la procédure judiciaire le terreau d’un film de montage sans voix-off ni ajouts superflus, dans lequel s’accumule une quantité écrasante de récits de victimes.
À l’approche de la fin du procès, les accusés responsables de la mort et de la disparition de milliers d’innocents (parmi lesquels le général Jorge Rafael Videla et l’amiral Emilio Eduardo Massera, figures majeures de la dictature) se plaignent de la lourdeur et de la lenteur de cette procédure qu’ils considèrent éreintante voire inutile. Mais imprimer à jamais dans la mémoire du pays les exactions commises lors de la dictature militaire nécessite peut-être, justement, d’en passer par cette épuisante épreuve du temps. Les centaines de témoignages apportés visent en cela moins à ajouter des preuves supplémentaires qu’à prendre collectivement la mesure des massacres, le film s’ouvrant sur les mots du procureur, Julio Strassera, annonçant que les sept cents et quelques récits réunis à l’occasion du procès ne représentent qu’un mince échantillon des crimes commis entre 1976 et 1983. C’est en assumant ainsi ses limites sur le plan judiciaire que le procès s’affirme pleinement comme un rituel propice à la mise en scène, avec une structure narrative (les prémisses du coup d’état, les enlèvements puis la découverte des cadavres) couplée à des choix de cadrages oscillant entre captation rigoureuse de l’action et écarts significatifs (avec de nombreux plans de coupe, sur l’audience ou sur un détail de la salle, par exemple le crucifix qui, accroché en hauteur, surplombe la tragédie humaine en contrebas).
Ces choix de montage brisent ponctuellement la mécanique inflexible du procès. Par exemple, au milieu du film, l’un des spectateurs fait un malaise alors que la témoin à la barre, occupée à raconter la torture subie durant la junte militaire, tourne la tête en arrière, de sorte que l’on découvre son visage pour la première fois au moment même où son récit, glaçant, s’interrompt. Dans le même esprit, l’ultime prise de parole du procureur, précédant un plan sur une femme qui fond en larmes et se cache le visage, est vécue comme une délivrance communicative. Que ce soit dans la salle du tribunal ou dans la salle de cinéma, la libération des affects résulte précisément de la durée imposante du processus et de l’enchaînement, implacable, des témoignages. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, c’est ici la froideur rigoriste du montage qui aura permis de faire éclore l’émotion.