De la subsistance/résistance difficile de celui que les gens de son village appellent « Svet-Ake » (« Monsieur Lumière » — son vrai nom n’est jamais mentionné), sympathique électricien local, tandis que son pays, le Kirghizistan, passe d’un pouvoir (la main de fer de l’ancien apparatchik Akaïev, renversé en 2005) à l’autre (à peine plus démocratique, économiquement plus libéral en tout cas). Notre homme, plein de bonne volonté et de ressources dans son métier qu’il pratique comme un artisanat, fournit ses concitoyens en électricité par les moyens les plus originaux, ce qui lui vaut d’être persécuté par l’ancien régime et d’attirer l’intérêt du nouveau : les élus mafieux à lunettes noires et 4x4 qui s’apprêtent à faire venir en masse les investisseurs étrangers et à changer le visage du pays, « customisant » les traditions locales tout en pourrissant leur esprit.
Le nouveau long métrage du Kirghize Aktan Arym Kubat, qu’on connaissait il y a dix ans sous le nom russifié Aktan Abdykalykov (Le Fils adoptif, Le Singe), est une chronique pas tout à fait comme les autres, mais un peu quand même, de reconstruction post-soviétique mue par la corruption et la violence. Beaucoup de films nous parvenant des anciens pays satellites de l’URSS portent bien sûr la marque des dérives réelles du capitalisme triomphant dans ces nouvelles conquêtes ; l’intérêt variable de ces témoignages vient des perspectives qu’ils adoptent pour évoquer cette réalité. Or celle adoptée par Svet-Ake ne s’avère pas franchement intéressante. Notamment, avec le héros positif débrouillard à bicyclette interprété par le réalisateur lui-même, d’un optimisme un peu naïf dans sa foi en l’avenir et en ses projets (il construit des éoliennes de fortune, mais voit plus grand), aimé de ses voisins, époux d’une femme aimante — mais plus lucide que lui — et heureux père de quatre filles, le film évite certes le pathos qui plombe beaucoup de ses « camarades » de misère post-communiste, mais au prix d’un certain degré d’aspérités. Tout se passe comme si Aktan Arym Kubat cherchait à rendre son tableau le moins intimidant et le plus ouvert à l’adhésion possible, proche de la limpidité d’une fable, tandis que son propos ne dépasse jamais celui de l’appel un peu complaisant aux vertus ancestrales menacées par la sauvagerie moderne — jusque dans le final, morceau de bravoure faisant écho à une tradition locale, ultime et tragique, mais filmé de loin, à la cruauté atténuée par la distance qui ne garde qu’une assez vaine beauté du geste.
Le peu de portée de l’ensemble est d’autant plus regrettable que par moments, à travers son personnage principal, le film esquisse ce qui aurait pu modeler un autre portrait, voire un autre discours. Quand un « Svet-Ake » ivre lâche son regret de ne pas avoir d’enfant mâle, quand, aux reproches de sa femme, il ne répond pas par son optimisme habituel mais par l’agacement, quand il tombe en arrêt devant une autre femme, quand son regard soudain inquiet se perd dans le vague pour une raison secrète, on devine alors, sous le schéma du héros, une personnalité moins lisse dont on pouvait espérer qu’elle détourne le récit sur des chemins de traverse, moins balisés, plus intimes, plus aventureux. Dommage que ces petits traits ne restent qu’épidermiques, trop brefs détours sur la ligne consensuelle parcourue.