Peut-on oser évoquer une fâcheuse tendance des réalisateurs danois « de festivals » à se moquer du monde ? On connaît les facéties contestables de Lars « Von » Trier (dont la question du statut réel ensanglante les rangs de Critikat depuis sa création), de ses élèves de la plaisanterie « Dogme 95 » passés depuis à d’autres fumisteries (Thomas Vinterberg au premier rang), de l’émule lyncho-kubrickien Nicolas Winding Refn (des purges Inside Job (Fear X), Bronson et Le Guerrier silencieux)… Voici Christoffer Boe (Reconstruction), venu en chaussures vert pomme présenter son film à la Quinzaine, prévenant gentiment son public que ce qu’il va voir n’est pas un thriller ordinaire, mais un « thriller mélodramatique », sur un ton suggérant qu’il a inventé un nouveau genre.
En fait d’originalité, la seule qui transparaît dans la chose est sa présence incompréhensible dans une Quinzaine des Réalisateurs – à moins que ce ne soit à cause du raccord, par certains éléments de scénario, avec un autre film danois montré à Cannes, lui à la Semaine de la Critique : Armadillo de Janus Metz. Le film se raconte comme un petit thriller dans l’air du temps (un homme découvre une sombre histoire d’exactions commises par l’armée au Moyen-Orient), mais dont des indices savamment dispensés laisseraient deviner des tiroirs bien tordus. Problème : ces indices censés être discrets (tel le héros lui-même, un scénariste enclin à la paranoïa et en pleine crise d’inspiration, tiens tiens…) semblent indiquer que Christoffer Boe n’a pas vu un seul thriller-psychologique-à-tiroirs de, disons, ces quinze dernières années. De sorte que le spectateur qui, lui, aura eu cette chance aura deviné tous les dessous de l’affaire au bout d’une vingtaine de minutes. Il pourra alors délimiter très facilement les principes d’une mise en scène tout juste bonne à créer un simulacre d’atmosphère intimiste et insaisissable (flask-back morcelé, musique atmosphérique, effets photographiques) tandis qu’elle fait ce que font celles de tous les thrillers-psychologiques-à-tiroirs ratés : dérouler mécaniquement son scénario alambiqué jusqu’à l’ultime révélation, laissant le même spectateur dans l’attente passive de voir le bout du tunnel d’ennui que lui offre cet objet à l’enjeu de pur conteur-prestidigitateur narcissique, proche du pire de Christopher Nolan.
Tout de même, les plus sentimentaux d’entre nous, ceux pris de regret de devoir s’en tenir à une conclusion aussi tranchée, pourraient bien tâcher de s’intéresser à l’adjectif « mélodramatique » de la présentation faite par le réalisateur aux chaussures vert pomme – tentés de se suggérer que l’important du film n’est pas le thriller, ses courses-poursuites et ses retournements, mais l’intime torturé qui en affleure. Peine perdue : ni la mise en scène empruntée par ses effets d’ambiance, ni les personnages et acteurs manipulés comme des marionnettes par les ficelles du scénario, jusqu’à la caricature (pauvre Jens Albinus, contraint à singer la paranoïa) ne sont de nature à faire sortir une quelconque émotion réelle. Le tout reste un objet froid, trop fier de sa mécanique tournant dans un vide d’intérêt.