De toutes les manifestations du misérabilisme au cinéma, la plus vicieuse (et celle par laquelle les festivals, sans surprise, se laissent séduire le plus facilement) est probablement celle qui cache ses turpitudes racoleuses derrière une posture de radicalisme et d’intransigeance. Voyons ce que ce film malaisien fait endurer à son héroïne Ping Ping, 19 ans. Elle vit chez sa tante, mais veut émigrer au Japon, alors elle accumule les petits boulots plus ou moins dégradants : employée dans un restaurant, mais aussi dans une porcherie où elle assiste à l’insémination artificielle, détournant même une partie du sperme pour la contrebande, enfin impliquée dans le trafic d’enfants dirigée par sa propre tante où elle sert de « poule pondeuse »… La relation familiale ambiguë et une petite éclaircie sentimentale ajoutent leur lot d’émotions timides, mais on sent bien que le parcours de la jeune fille est déjà soumis à la prédétermination fixée par le réalisateur-démiurge, qui fait pesamment savoir que la route sera morne et rude, qu’il n’y aura pas de happy-end, qu’on ne se laissera pas aller à l’émotivité et que tout ça, c’est du vrai brut de Malaisie : visage fermé et ton neutre de l’héroïne tout le long du film, caméra verrouillée en mode « cinéma-vérité-à-l’épaule-collée-au-moindre-geste ». On a déjà vu ça nombre de fois avant, et même pour d’autres pays, d’autres avatars de la misère, c’est un programme qu’on connaît et qu’on anticipe facilement.
Ce systématisme, qui entend faire une nouvelle démonstration de la misère où la morale est sacrifiée à l’instinct de survie, relève ainsi moins d’un besoin de témoigner d’un état du monde que de considérations purement académiques, soumises à la tendance la plus prisée de ce type de films. Pire, à y regarder de près, on constate les indices de fondements plus contestables encore. Il y a lieu de s’interroger, notamment, sur la symétrie sortie d’on ne sait où, mais qui voudrait néanmoins faire sens, dessinée par les épreuves les plus dégradantes de Ping Ping. D’un côté, elle assiste à l’insémination des porcs, de l’autre, c’est elle qui se laisse inséminer. Les scènes de porcherie suscitent un déballage documentaire façon « Histoires naturelles » trash avec force gros plans sur les sexes des animaux, leur pénétration par les tuyaux, la circulation du sperme etc ; celles où Ping Ping subit la chose, en revanche, sont délicatement évacuées en ellipses. Les premières scènes, avec leur exhibitionnisme pas franchement nécessaire, ne sont finalement qu’une caution pour une pratique bien douteuse de la mise en scène : non seulement elles ne s’avèrent utiles qu’à évoquer pesamment ce à quoi l’héroïne livre son corps par ailleurs, mais elles autorisent le réalisateur Woo Ming Jin à exercer sur les porcs le regard de pornographe qu’il ne s’autorise pas sur la jeune fille. De quoi rappeler que les porcs ont ceci de plus que les humains : ils ne connaissent pas l’hypocrisie.