Avant (vers 18:45)
Pronostics et rumeurs ont rythmé ce jour de palmarès, mais le cœur y était-il autant qu’à l’accoutumée ? La compétition officielle était striées de scories, ce n’est pas une nouveauté en soi. Mais cette édition 2015 a été nettement marquée par une cartographie nouvelle entre les différentes sections. Un Certain Regard avait fière allure avec Apichatpong Weerasethakul (Cemetery of Splendour) mais aussi Kiyoshi Kurosawa (Vers l’autre rive) ou Corneliu Porumboiu (Le Trésor) ; on s’y est régalé grâce à ces précieux cinéastes. La Quinzaine a profité à plein – on le redit : tant mieux pour elle ! – de choix hasardeux de l’officielle, accueillant deux auteurs français très à leur avantage (L’Ombre des femmes de Philippe Garrel, Trois souvenirs de ma jeunesse d’Arnaud Desplechin) et Les Mille et Une Nuits de Miguel Gomes, film qui a constitué le centre de gravité de notre festival.

On se dit que cela n’est pas très grave, et que s’il faut se détourner de la compétition officielle pour découvrir les œuvres qui font honneur au cinéma, on en prendra acte sans faire de drame ; magnanimes, nous laisserons le cinéma pachydermique de Paolo Sorrentino et Jacques Audiard à ceux qui le goûtent. Ces choix de la compétition officielle ne sont peut-être pas accidentels ; assiste-t-on à un virage voué à devenir structurel ? Effets Canal +, euh pardon, Pierre Lescure ? Tentant, mais pas forcément convaincant… Quoi qu’il en soit quelque chose comme un verrouillage « reléguant » l’exigence et la recherche cinématographiques vers des sections plus « périphériques » – Un Certain Regard et Quinzaine des Réalisateurs, donc – a opéré lors de cette édition 2015. On se dit qu’à ce rythme on découvrira bientôt les prochains films de Jia Zhang-ke dans des sections parallèles. Eh bien nous irons les voir ailleurs, même si l’on regrettera de ne pouvoir les apprécier dans les formidables conditions qu’offre l’écran du Grand Théâtre Lumière.

Il y avait bien sûr des formes « d’ouverture » dans cette compétition, mais pour lesquels il était toujours possible de déceler une raison (du marché) : sujet fort et polémique (Le Fils de Saul de László Nemes), castings internationaux (par exemple The Lobster de Yorgos Lanthimos, Louder Than Bombs de Joachim Trier, Chronic de Michel Franco). Chaque film français – et ils étaient nombreux ! – avait à vendre une certaine idée de la cinématographie nationale : la fantaisie (c’est en tous cas ce que paraît poursuivre Marguerite et Julien de Valérie Donzelli), le romanesque (en toc : Mon roi de Maïwenn), la veine sociale (La Loi du marché de Stéphane Brizé, La Tête haute d’Emmanuelle Bercot), le parvenu décomplexé (Dheepan de Jacques Audiard). Seul, agréable surprise, Guillaume Nicloux (Valley of Love, s’appuyant sur un casting de haut vol réunissant Isabelle Huppert et Gérard Depardieu) s’avance comme une tentative, une singularité que nous avons défendue alors que n’en attendions rien ou presque.
Après (vers 20h53)
Ce petit prologue écrit en attendant l’annonce avait pour idée de formuler que l’on aurait aimé s’en moquer, du palmarès de cette édition 2015. Cette année plus que les autres parce que le cinéma que l’on attend et aime (l’imaginaire, la beauté, la foi dans les moyens de travailler, transcender, transmettre la matière du réel) se trouvait quelquefois dans cette compétition mais surtout ailleurs. Sans Jia Zhang-ke (Mountains May Depart) ni Nanni Moretti (Mia Madre), ce palmarès aurait été moche à part quelques exceptions (on se félicite de la présence du Fils de Saul de László Nemes et de The Assassin de Hou Hsiao-hsien). Mais comme si le malaise lié à un petit côté Cérémonie des César incestueuse ne suffisait pas, la Palme d’or tombe entre les mains d’un Jacques Audiard qui a réalisé un film dégueulasse à propos duquel nous avons déjà fait état de notre affliction. On entend venir le refrain claironné de la bonne santé du cinéma français. Ce n’est pas contre lui que l’on entrera en guerre, mais contre l’imaginaire – l’idéologie ? – nauséabond qu’infuse le cinéaste qu’un lamentable jury a couronné – à l’unanimité (c’est-à-dire les frères Coen comme, entre autres, Sophie Marceau et Xavier Dolan) – comme son principal représentant.

Le Palmarès complet
Palme d’or : Dheepan de Jacques Audiard
Grand Prix : Le Fils de Saul de László Nemes
Prix de la mise en scène : Hou Hsiao-hsien pour The Assassin
Prix du jury : The Lobster de Yorgos Lanthimos
Prix d’interprétation féminine : Rooney Mara dans Carol de Todd Haynes ex-aequo avec Emmanuelle Bercot dans Mon roi de Maïwenn
Prix d’interprétation masculine : Vincent Lindon dans La Loi du marché de Stéphane Brizé
Prix du scénario : Chronic de Michel Franco
Palme d’Honneur du festival : Agnès Varda
Caméra d’or : La Tierra y la Sombra de César Augusto Acevedo
Palme d’Or du court métrage : Waves 98 d’Ely Dagher