Pour son deuxième film, après le remarqué Les Bruits de Recife, Kleber Mendonça Filho réussit un petit tour de force en mêlant l’ancrage local fort qui faisait l’originalité de son premier film à la sensibilité d’un portrait de femme mature et sensuelle.
Clara est une belle veuve de 65 ans, qui prend soin d’elle et vit dans un vieil immeuble au bord de la plage, l’Aquarius. Démarchée activement par un promoteur immobilier, qui a racheté l’ensemble des propriétés du bâtiment et souhaite y élever à la place un complexe moderne, le « nouvel Aquarius », elle refuse de vendre son appartement et doit affronter les pressions directes, légales et illégales de son acheteur. Elle continue à vivre son quotidien, voit ses amies, reçoit ses enfants, écoute de la musique et évoque son défunt mari, tout en subissant les nuisances, menaces et manœuvres de son adversaire. À un premier niveau, Aquarius s’apparente donc à une sorte de thriller immobilier, comme avait pu l’être Leviathan il y a quelques années, proposant une mise sous pression sociale et spatiale qui étouffe le spectateur et le tient en haleine. Le personnage de Clara, autour duquel se noue l’intrigue, est dévoilé par petites touches, dans ses actes de résistances qui sont l’occasion d’en apprendre plus sur elle et son histoire familiale.
Mais la résistance à la pression immobilière passe surtout par une façon singulière et sensuelle d’habiter les lieux. Aquarius raconte d’abord l’attachement à cet appartement en le peuplant de souvenirs, en particulier érotiques : dans l’une des premières scènes du film, on célèbre l’anniversaire d’une vieille tante, qui, rêveuse, laisse son regard filer alors que les enfants lui lisent un discours ; son œil s’attarde sur un buffet, et surgissent des images d’un jeune couple y faisant l’amour ardemment. À plusieurs reprises, Mendonça reprend ce procédé et met en scène l’espace urbain comme lieu de désir et de plaisir. On y danse, on y drague, on y baise – à ce titre, Aquarius fait une sérieuse concurrence aux chick flicks à l’américaine, avec une superbe scène de copines puis de séduction entre sexagénaires. Plus tard, la séduction d’un jeune gigolo présente une des plus belles scènes de sexe mature du cinéma ces dernières années.
Le film déploie aussi en sous-main un discours critique des mutations urbaines et sociales brésiliennes : la pression immobilière, fruit d’une conversion des jeunes Brésiliens au capitalisme, reconfigure les quartiers, élève la ligne d’horizon, privatise et sécurise les espaces publics. La lutte des places s’exprime jusque dans les plus petits détails, comme au cimetière, où les sépultures non payées sont vidées et remplacées. Mais cet aspect documentaire du film est mineur, et mis au service d’une proposition narrative et esthétique plus large.
Car Aquarius parvient à proposer certaines scènes mémorables, par un parti pris de réalisation qui consiste à mêler régulièrement les espaces – intérieurs et extérieurs (notamment lors d’un magnifique plan en zoom arrière qui s’ouvre en musique sur un couple faisant l’amour à l’abri d’une dune, s’attarde en glissant sur un terrain de sport occupé par des enfants, avant de dévoiler la route et de rentrer dans l’appartement, sur le visage de Clara endormie) – et les niveaux de réalité (passé, présent, fantasme). L’intime et le public se mêlent, les espaces sont sensuellement habités. Le cinéaste sait déjouer nos attentes et propose des effets de surgissement des images : un corps mutilé dévoilé d’un tombé de serviette, un souvenir en montage alterné court, un visage presque effacé et inquiétant remontant un couloir sombre.
Parvenir à mêler ces deux niveaux de lecture de la ville, critique et sensible, à une grande tension dramatique et un portrait de famille fin et subtil, voilà la véritable gageure de ce prétendant sérieux à la palme.