On s’étonne un peu, pour être mesuré, de l’enthousiasme critique suscité par Bacurau, troisième film de Kleber Mendonça Filho, qui confirme un net infléchissement formel de la part du réalisateur des Bruits de Recife, dont Aquarius, toutefois défendu à l’époque dans nos colonnes, avait déjà déçu certains (dont l’auteur de ces lignes). Le film s’ouvre pourtant sur une séduisante séquence qui fait planer un double fantôme carpenterien : d’abord The Thing, par un plan de l’espace qui recouvre, via une suite de fondus, une valeur spectrale, puis surtout Assaut, dont le film rejoue mollement la trame. Reste que ce patronage s’incarne davantage par la citation (un morceau au synthé signé Carpenter figure dans la bande-son et l’école du village de Bacurau porte le nom « portugalisé » du metteur en scène) que par l’écriture. C’est que le versant « carpenterien » semble buter sur l’horizon grossièrement satirique qui fait de Bacurau, dans le sillage d’Aquarius, une fable politique assez sommaire sur la résistance d’une communauté à des « envahisseurs » (pouvoir politique corrompu, puissances étrangères, etc.).
Composite en surface, la mise en scène de Kleber Mendonça Filho entrelace différents points de vue sans en tenir aucun, d’abord en filmant une communauté assaillie par des forces mystérieuses, avant de dépeindre, dans les séquences les plus vides et littérales du film, l’organisation de tueurs qui s’attaque au village. C’est toutefois dans le supposé grand finale, saboté, que le film affiche le plus nettement ses limites, en passant d’un camp et l’autre sans parvenir à organiser le flux de l’action, et en se remettant à un grossier coup de force fantastique — un raccord sur l’apparition frontale d’une défunte. En résulte un film par instants franchement indigent, dont seuls quelques fragments (les fondus du début, les plans oniriques qui se glissent dans une séquence d’enterrement) parviennent localement à retrouver un peu la vigueur dont Kleber Mendonça Filho a su faire preuve par le passé. Il faut enfin dire que ce tressage festivalier, très tendance, entre film d’auteur et film de genre, commence sérieusement à montrer ses limites. Après le sous-Romero (Jarmusch), voici le sous-Carpenter, pour grosso modo le même résultat : des films de genre neurasthéniques et mal fichus, mais gonflés par les intentions clairement placardées de leurs auteurs.