Bacurau, troisième film de Kleber Mendonça Filho (coréalisé avec Juliano Dornelles), confirme un net infléchissement formel de la part du réalisateur des Bruits de Recife. Le film s’ouvre pourtant sur une séduisante séquence qui fait planer un double fantôme carpenterien : d’abord The Thing, par un plan de l’espace qui recouvre, via une suite de fondus, une valeur spectrale, puis surtout Assaut, dont le film rejoue mollement la trame. Reste que ce patronage s’incarne davantage par la citation (un morceau au synthé signé Carpenter figure dans la bande-son et l’école du village de Bacurau porte le nom « portugalisé » du metteur en scène) que par l’écriture. C’est que le versant « carpenterien » semble buter sur l’horizon grossièrement satirique qui fait de Bacurau, dans le sillage d’Aquarius, une fable politique assez sommaire sur la résistance d’une communauté face à des « envahisseurs » – un pouvoir politique corrompu, des étrangers carnassiers guidés par la figure d’Udo Kier, etc. Si cette mutation du cinéma de Mendonça Filho se fait l’écho des tensions politiques au Brésil, dont le point d’orgue serait l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro, la vision de la « lutte » que portent les deux films n’est pas sans questionner : elle prend la forme d’une entreprise de conservation, où il s’agit d’envelopper la mémoire encore vivante de Recife dans un cocon (Aquarius), mais aussi de décrocher les reliques d’un musée pour enterrer le capitalisme ou encore d’opposer au safari des étrangers dotés de la technologie dernier cri un contre-imaginaire de western rural (Bacurau). On a tout fait le droit d’être séduit par ce discours (parce qu’il s’agit au fond bien de ça), à condition toutefois de ne pas être dupe sur deux points : d’une part que les films ne proposent comme perspective politique qu’un repli sur le passé, et de l’autre que la littéralité du discours met à mal tout le mystère et le trouble que l’écriture tente laborieusement de mettre en place.
Composite en surface, la mise en scène de Kleber Mendonça Filho entrelace en effet différents points de vue sans en tenir aucun, d’abord en filmant une communauté assaillie par des forces mystérieuses, avant de dépeindre, dans les séquences les plus vides du film, l’organisation de tueurs qui s’attaque au village. C’est toutefois dans le supposé grand finale, saboté, que le film affiche le plus nettement ses limites, en passant d’un camp à l’autre sans parvenir à organiser le flux de l’action, et en s’en remettant à un grossier coup de force fantastique – un raccord sur l’apparition frontale d’une défunte. En résulte un film par instants franchement indigent, dont seuls quelques fragments (les fondus du début ou les plans oniriques qui se glissent dans une séquence d’enterrement) parviennent localement à retrouver un peu la vigueur dont Kleber Mendonça Filho a su faire preuve par le passé. Il faut enfin dire que ce tressage festivalier, très tendance lors de la dernière édition cannoise, entre film d’auteur et film de genre, commence sérieusement à montrer ses limites. Après le sous-Romero (Jarmusch), voici le sous-Carpenter, pour grosso modo le même résultat : des films de genre neurasthéniques et mal fichus, mais gonflés par les intentions clairement placardées de leurs auteurs.