Sélectionné à Un Certain Regard, Beyond the Mountains and Hills incarne probablement ce que le cinéma israélien a de moins inspiré à nous offrir depuis quelques années. Il faut dire qu’en 1h30 à peine, le réalisateur Eran Kolirin traite d’un trop grand nombre de sujets indirectement liés à la situation israélo-palestinienne, tout en limitant l’enjeu aux bouleversements rencontrés par quatre membres d’une famille sur quelques semaines seulement. Il y a d’abord le père, militaire fraîchement retraité qui vit mal de se sentir moins utile à l’aube de la quarantaine et qui abat accidentellement, dans un stupide geste de frustration, un Arabe qui passait par là. Face à lui, son adolescente de fille multiplie les engagements contre la politique israélienne à l’égard des Palestiniens et se prend d’empathie pour la famille de la victime au point d’éveiller les soupçons des services secrets. À leurs côtés, la mère professeure de littérature se laisse troubler par le charme d’un de ses élèves quitte à se compromettre dans son école. Enfin, le fils aîné, plutôt effacé, va libérer toute sa violence pour laver l’honneur de sa famille. On comprend bien la trajectoire que souhaite emprunter le film dès ses premières minutes : derrière le portrait d’une famille israélienne établie, bourgeoise et bien sous tous rapports, le réalisateur entend nous montrer ce qu’elle porte de monstrueux en elle. Allégorie d’un pays qui fait constamment valoir la légitimité de son combat quotidien pour mieux refouler ses contradictions idéologiques, Beyond the Mountains and Hills ressemble à un exposé où le manichéisme côtoie le didactisme. Complètement verrouillé de l’intérieur, étouffé par un scénario qui se voudrait implacable, le film n’est même pas sauvé par l’élégance feutrée de sa mise en scène ou par sa galerie d’acteurs, justes dans leurs partitions respectives.
Point de non-retour
C’est que le récit multiplie les pistes laissant à chaque fois espérer qu’un peu d’air puisse nuancer le propos (une jolie scène de drague dans le bus, un moment d’errance en territoire occupé, etc.). Mais le systématisme avec lequel le réalisateur s’acharne à piéger ses personnages, à faire de chaque potentielle porte de sortie une voie sans issue, finit par questionner sur la sincérité de la démarche. Dès les premières minutes, on sent que l’ensemble des enjeux portent en eux une non-résolution qui relève plus de l’astuce que de la prise de risque narrative. Ce malaise atteint probablement son apogée lorsqu’à la fin du film, la famille, qu’on sait responsable d’un certain nombre de méfaits, se fait arrêter par la police pour un simple stop grillé. On ne comprend que trop bien ce que le film s’acharne à nous dire depuis ses premières minutes : derrière l’apparent conformisme aux règles du vivre-ensemble, seule la culpabilité individuelle renvoie chacun à ses propres responsabilités, comme si l’État avait fini par légitimer un sentiment d’impunité. On sait gré au réalisateur d’avoir voulu renvoyer ses concitoyens aux dérives morales de leur pays quand le discours de l’extrême-droite israélienne ne cesse de gagner en influence. Mais le résultat frôle ici la complaisance, ne donnant rien d’autre à voir qu’un monde gangrené de l’intérieur dont on n’a plus rien à attendre. Et pour s’assurer que nous avons bien compris son propos, le réalisateur conclut lourdement son film sur une scène dans une salle de concert au cours de laquelle la famille, si divisée dans ses dilemmes personnels, affiche son euphorie et une unité retrouvée. Mais plutôt que de créer le malaise face à ce cliché du bonheur simple, le réalisateur nous donne surtout l’impression d’avoir voulu jouer avec nous au petit malin. Seul problème : cela fait déjà longtemps qu’on ne croit plus à ce film dont les enjeux sont trop convergents pour que le dispositif ne soit pas qualifié de malhonnête.