L’accueil chaleureux du public d’Un certain regard à Captain Fantastic semble promettre à cette comédie de mœurs sur la famille et l’éducation un petit succès surprise tel que le cinéma indépendant américain aime à en fabriquer. Pour son second long métrage en tant que réalisateur, Matt Ross, plus connu pour ses seconds rôles au cinéma et à la télévision, revient librement sur les souvenirs de son enfance passée dans l’Oregon au sein de communautés au mode de vie alternatif. En autarcie dans la forêt du nord-ouest des États-Unis, Ben Cash (Viggo Mortensen) élève à la dure sa nombreuse descendance (on ne sait jamais vraiment combien il a d’enfants, tant certains membres de la fratrie semblent avoir été castés uniquement pour venir grossir le nombre). Le départ de la mère, récemment hospitalisée, coïncide avec le rite de passage du fils dans le monde adulte et annonce un souffle de remise en question de l’idéal libertaire de cette petite communauté.
C’est bien là tout l’effet de trompe-l’œil de ce film qui confond bien vite l’idée d’indépendance et ses clichés. Tout comme il estime que faire gambader une tripotée d’enfants gentiment débraillés devant les soubresauts de la caméra relève d’un geste formel fort. Sur les talons du groupe qui parcourt les bois, Matt Ross a donné le cadre aux bons soins de Stéphane Fontaine, chef opérateur des trois films de Jacques Audiard précédant Dheepan. Après un petit exercice de varappe et quelques plantations, le prologue dans les bois s’achève la larme à l’œil à l’annonce de deux mauvaises nouvelles. 1 : la mère de cette troupe un peu fofolle mais si sympathique est morte. 2 : les parents de celles-ci interdisent à son mari, qu’ils accusent d’être responsable de sa mort, l’accès à l’enterrement. Captain Fantastic quitte dès lors la robinsonnade anti-sociale pour prendre le chemin du road-movie familial. Au volant d’un camping-car, cet émule de Little Miss Sunshine va confronter la philosophie spartiate des Cash au monde moderne vautré dans la consommation et les valeurs hypocrites. L’opposition d’intention surlignée au marqueur dans le scénario ne sera pourtant sous-tendue par aucune différenciation impulsée par la mise en scène, qui filme les suburbs exactement comme la forêt. En ville comme à la campagne, chaque plan s’ouvre par un léger recadrage, sorte de virgule visuelle qui vient agrémenter la pauvreté du style.
Lors de ce voyage, le berger Cash va, de son ton professoral, amener son troupeau à une discussion pédagogique sur la grandeur littéraire de Lolita, qui ose affronter le malaise du lecteur en adoptant le point de vue de Humbert Humbert. Évidemment, Matt Ross se range un peu vite aux côtés de Nabokov, lui qui se targue de filmer un anti-héros libertaire mais multiplie les scènes qui le légitiment (les calamiteuses visions de sa femme enamourée) ou qui dénigrent ses adversaires. La consternante scène où il soumet à une petite interrogation orale les enfants de sa sœur puis son petit dernier, deux fois plus jeune, résume bien à quel point le réalisateur ne conçoit les idées d’anti-conformisme ou de liberté, que comme un match dont le film vient compter les points. Matt Ross prétend faire un film qui remet en question les valeurs de la société, mais il se contente de faire tenir à son film un discours moraliste sur ces idées qui se dissout dans le consternant tableau d’un parfait renoncement. C’est à peu près ce que le cinéma a de moins intéressant à nous offrir.