À la vision de Personal Shopper, il est sans doute légitime de se demander si Olivier Assayas n’a pas essayé de résoudre une drôle d’équation : et si l’on soustrayait à Sils Maria les personnages de Juliette Binoche et Chloë Grace Moretz, que resterait-il ? Si l’on ne gardait que Kristen Stewart dans le même rôle d’une assistante (personnelle hier, vestimentaire aujourd’hui), qu’est-ce qui se substituerait à la question de la vampirisation artistique que le cinéaste français faisait miroiter dans son opus de 2014 ? Réponse frontale d’Assayas : un film de fantôme, avec une visée nettement moins imposante que son prédécesseur – d’où l’aspect bancal de Personal Shopper qui lui donne aussi son charme. Évidemment, un film de fantôme à la Assayas se conçoit comme une revisite d’un pan du cinéma de genre à travers le regard d’une actrice – comme lorsqu’il plongeait Asia Argento dans le bain du thriller hongkongais avec Boarding Gate ou Maggie Cheung dans le milieu du cinéma français avec Irma Vep. Ici, c’est sur Kristen Stewart donc qu’Assayas jette son dévolu : l’actrice américaine y est filmée sous toutes les coutures, dans un mouvement confinant progressivement à une simple abstraction. Car, à l’instar de Sils Maria, la belle idée de mise en scène d’Assayas sera de tenter de faire disparaître la star ou de la réduire à une pure présence dont l’émanation resterait néanmoins saisissable. Sans doute est-ce là le cœur secret du film, son positionnement théorique qui constitue un contre-point poétique à ses intentions premières manquant parfois étrangement de mystère.
Après l’apparition d’un spectre dans le premier tiers du film survient l’idée que ce surgissement (aux effets spéciaux pour le moins incertains) prouve sans doute que se confronter à la représentation concrète des fantômes intéresse assez peu le cinéaste. Il préfère travailler sur la question du deuil (et celle du remplacement) en soumettant son personnage principal à une absence : celle de son frère jumeau décédé récemment d’une malformation cardiaque. Médium, Maureen (K-Stew donc) attend désespérément, avant de quitter son travail parisien qui ne la satisfait pas, un signe de l’au-delà, ainsi que les jumeaux se le sont promis. Elle revisite ainsi la maison du défunt dans une scène introductive qui rappelle l’élégance du découpage dont Assayas est capable. Lorsque ce dernier met sous les yeux de Maureen un reportage portant sur l’œuvre de Hilma af Klint, pionnière de l’art abstrait connue aussi pour ses penchants pour le spiritisme, sans doute a-t-il trouvé une manière de suggérer l’horreur en reproduisant certaines caractéristiques non figuratives de son travail, telles ces portes entrouvertes auréolées de jaune ou d’orange. Personal Shopper glisse alors, sans trop se l’avouer, vers un autre régime de récit, préférant échapper à son versant genré pour se coltiner les signes de la modernité comme vecteurs de la narration. On connaît la passion d’Assayas pour les écrans démultipliant le flux des images : le film n’y coupe pas et s’y arrime, que cela soit pour des discussions Skype ou des échanges de textos. L’utilisation de ces derniers donne lieu à une longue séquence entre Maureen et un interlocuteur anonyme, entrecoupé d’un passage à Londres – séquence qui relèverait presque du passage en force, tant sa durée clairement exagérée provoque une fascination qui culminera en une scène dont l’intensité terrifique prouve qu’Assayas sait tout aussi bien dilater le temps que le condenser en une fraction de secondes. Si Personal Shopper clignote de cet excès de matérialisme contemporain sur lequel il se rabat certes parfois maladroitement, il n’en est pas moins un pur objet de désir pour Kristen Stewart : Assayas construit autour d’elle tout un système d’échos permettant à l’actrice de moduler son jeu rentré et d’offrir son corps aux obsessions du cinéaste. Il faut la voir enfiler un haut pour le moins suggestif au son d’une chanson de Marlène Dietrich dans une séquence qui n’est pas sans rappeler discrètement les scènes de bondage présente dans Demonlover. Ce rapport aux vêtements, où tout n’est finalement qu’histoire de costume et de mise en scène, dit bien cette question du deuil – le fait de désirer prendre autant la place des morts semble être la seule possibilité de survie. Personal Shopper est un film nécrophile.