C’est peu dire que l’on attendait le nouveau film de Yorgos Lanthimos, dont l’essai glaçant Canine (rapidement suivi d’Alps) était transformé en 2015 par le casting international de The Lobster – film programme dont l’épais (et ludique) dispositif était sublimé par la délicatesse de Rachel Weisz. The Killing of a Sacred Deer devait prolonger l’élan animalier du précédent, dans un geste autrement plus tragique et grave, celui annoncé de la mise à mort de la beauté sacrée. Le film file la métaphore en condamnant son porc-épic barbu de Colin Farrell à la responsabilité de sacrifier ce qu’il a de plus cher – sa femme, son fils, ou sa fille – pour se racheter du meurtre accidentel d’un patient sous son scalpel. Inscrit dans une filiation explicitement kubrickienne (Nicole Kidman se déshabillant devant un miroir en parlant à son mari médecin, comme une résonance d’Eyes Wide Shut) à laquelle il emprunte sa pompe musicale et son ambition, Mise à mort du cerf sacré échoue cependant à dépasser son programme de tragédie grecque (Iphigénie à Aulas), étouffe ses personnages sous un débit de paroles robotique, un dispositif filmique cadenassé et trop sûr de lui.
Le film n’est pourtant pas dénué de caractère, provoquant, par ses longs plans de Steadicam centrés sur son personnage selon un angle de vue très ouvert, des effets dérangeants de torsion de l’espace. Le montage, alternant zooms appuyés, dézooms et lents travelling, renforce l’instabilité de l’appréhension de ce monde étrange et écrase le spectateur par ses effets de pression continu. Ses images d’enfants, que la paralysie de leurs membres inférieurs contraint à se déplacer en rampant, évoque les douleurs corporelles de Canine et fournissent au film parmi ses images les plus fortes. Le jeune acteur irlandais Barry Keoghan, enfin, remarquable démon vengeur, sauve le film du naufrage par sa présence hors norme et la fixité morbide de ses petites pupilles bleues.