Avec Julie (en 12 chapitres), Joachim Trier livre le portrait d’une jeune femme dont l’errance urbaine et le perpétuel sentiment d’inadéquation rappellent le beau film de Jonás Trueba, Eva en août, sorti l’été dernier. Comme Eva, Julie (Renate Reinsve) se caractérise par une soif d’indépendance et une ouverture totale aux opportunités qui se présentent à elle (par exemple, un mariage où elle n’hésite pas à s’incruster). Mais contrairement à Trueba, Trier n’étend malheureusement pas cette belle disponibilité au film lui-même. Sa mise en scène, très sage et illustrative, ne s’autorise d’autre pas de côté qu’un recours ponctuel à une imagerie joliment publicitaire : dans une scène fantasmée, où le temps s’arrête brusquement, Julie rejoint l’inconnu dont elle est tombée amoureuse et traverse en courant un monde pétrifié pendant que résonne à nos oreilles une petite ritournelle séduisante. Même lorsqu’il s’efforce d’être moins aimable, nous plongeant notamment dans l’inconscient enfiévré de Julie après qu’elle a consommé des champignons hallucinogènes, le film peine à dépasser les bornes de son programme étriqué. Malgré son éclatement apparent (les douze chapitres du titre), le récit laisse finalement le sentiment d’une ligne droite et maintient toujours son héroïne sur le chemin balisé d’une liberté qu’il s’agira de conquérir dans la douleur. La voix off, très présente, ne prend par ailleurs que rarement ses distances avec ce qui est montré, et alterne entre une ironie un peu molle et un premier degré étonnant (dans la scène de la rupture, la voix off double purement et simplement les paroles prononcées, en même temps qu’elle, par les personnages).
Julie (en 12 chapitres) aurait sans doute gagné à économiser ses effets et à élaguer son propos. Sur le thème du féminisme, par exemple, le film vise bien plus juste lorsqu’il montre les petites violences quotidiennes auxquelles une femme est exposée quand elle n’affiche pas clairement son désir de maternité, que lorsqu’il organise un débat démonstratif entre le personnage d’Aksel (Anders Danielsen Lie), auteur de bandes dessinées satiriques, et une journaliste très remontée contre la noirceur de son humour. C’est d’ailleurs le point de vue d’Aksel qui domine le dernier chapitre, opérant un tournant mélodramatique inattendu, mais aussi un recentrement sur ce personnage masculin plus âgé, malade et nostalgique d’un âge d’or disparu avec l’avènement du numérique. Allongé dans un lit d’hôpital, tenant Julie entre ses bras, il évoque les souvenirs qu’il conserve de leur relation, que la jeune femme elle-même a oubliés et qu’il emportera donc avec lui dans la mort. Une façon un peu maladroite d’enfermer Julie dans la perspective de son partenaire et de lui refuser cette indépendance qu’elle n’a pourtant cessé de rechercher tout au long du film. Du moins jusqu’à une jolie scène finale qui la montre au travail sur un plateau de tournage, appareil photo en main, entièrement maîtresse du regard bienveillant qu’elle pose sur l’actrice assise en face d’elle et qui lui sert de double. Un alter ego qu’elle voit ensuite s’éloigner avec l’homme qu’elle a aimé, posant un regard doux-amer sur sa propre trajectoire. C’est le visage de l’excellente Renate Reinsve, oscillant à cet instant précis entre sourire et larmes, que l’on retiendra du film de Joachim Trier, davantage que les douze chapitres très inégaux qui lui servent d’écrin.