C’est peut-être injuste, mais c’est ainsi : l’enchaînement frénétique des projections cannoises invite inévitablement à la comparaison, et il arrive parfois que la découverte d’un film éclipse quelque peu ceux qui l’entourent. Autant dire que L’Histoire de la femme souffre d’avoir été montré avant Memoria d’Apichatpong Weerasethakul, mais pas sûr que, découvert loin du tumulte de la Croisette, le film d’Ildiko Enyedi aurait davantage convaincu. Chronique au long cours d’un mariage insatisfaisant, le film fait autant le récit d’une opacité (le personnage de Léa Seydoux, qui gardera jusqu’au bout une part de mystère) que d’un jeu matrimonial composé de hauts et de bas. L’ambivalence peine toutefois à prendre, la faute à une mise en scène assez guindée et académique, qui garde volontairement une distance à l’égard de cette femme, au risque d’entretenir un mystère artificiel.
Arrêtons-nous sur l’une des rares – et timides – ruptures de ton pour cerner à quel point l’écriture s’engonce dans une inertie qu’elle n’arrive pas à briser : alors que le couple, accompagné d’une musique, fait l’amour, vu de loin et surcadré par une porte, la cinéaste coupe l’ébat en plein élan et filme les époux au repos, dans une atmosphère silencieuse. Mais l’harmonie du cadre, la beauté des corps et les poses alanguies qu’ils prennent amoindrissent l’effet de cassure ; la scène ne se départit pas d’une élégance distanciée, qui accueille sans mal la nudité (dans une tradition picturale). Si aussi peu de scènes se détachent, c’est parce que le film raconte, comme il l’est appuyé deux fois dans les dialogues, que la vie n’est au fond qu’une expérience assez décevante, qui glisse à côté de nous. Il ne fallait probablement pas sept chapitres étalés sur près de 3h (le film est indéniablement trop long) pour accoucher d’une pareille tautologie : un film fade sur une vie fade.