L’ouverture de L’Envol n’est pas sans promesses. Mêlés à des archives colorisées de la fin de la Première Guerre mondiale, des plans crépusculaires accompagnent le retour d’un père auprès d’une fille, Juliette, née durant son absence. Le décor est posé, le personnage croqué simplement par sa démarche et son air résigné, l’atmosphère romantique installée par la lumière tombante et le crépitement du 16 mm. La situation se complique toutefois lorsque l’ancien soldat entre dans la ferme qui constituera l’un des décors principaux du film. Quelque chose se brise dès les premiers mots échangés entre Raphaël (Raphaël Thiery) et Adeline (Noémie Lvovsky). L’homme se révèle être un ogre tendre aux mains énormes (que les gros plans de Marcello ne cesseront d’ausculter) et la femme, une bonne pâte aimante et serviable – Lvovsky se démène tant bien que mal avec ce rôle ingrat. S’engage alors, sur un rythme relâché, une chronique de la vie au village où Raphaël tente de trouver sa place, entrecoupée de plans élégiaques composant des parenthèses éthérées un peu vaines. Mais lorsqu’à la faveur d’un contrechamp, Juliette devient une jeune femme, Marcello se détache de l’homme rustre pour se concentrer sur la vie buissonnière d’une héroïne correspondant bien mieux à son ambition romantique. Avec son air mélancolique et son regard habité qui rappellent par endroits Leonor Silveira dans Val Abraham, Juliette Jouan a notamment droit à une scène de baignade chantée à la lisière du ridicule mais qui parvient, envers et contre tout, à figurer ce à quoi aspire l’ensemble du film : un instant suspendu.
Cette scène réussie mise à part, L’Envol pourrait séduire, si seulement il ne cédait pas à la tentation de la joliesse. On peine à voir, la plupart du temps, ce qui motive la mise en scène, si ce n’est le besoin de chercher un flare, un geste anodin en gros plan, ou les contours lumineux de comédiens filmés en contre-jour. Dans sa manière de capturer sur le vif la beauté et l’essence mystique du monde, le film fait parfois penser à une version rabougrie et passéiste du cinéma de Terrence Malick, dont on aurait retiré toute la précision musicale et la vitalité. Le caractère illustratif des vignettes bucoliques a parfois son charme, mais les scènes d’intérieur et les dialogues sont rythmés par d’invraisemblables mouvements de caméra qui ne masquent pas la platitude du texte. Derrière le voile du film léger et rêveur se cache un scénario particulièrement indigent, où les coïncidences terribles (Raphaël passe par hasard à l’endroit où l’homme qu’il déteste est en train de se noyer) côtoient des personnages secondaires qui n’existent que pour donner l’illusion d’un conflit. Le film se rêve en Partie de campagne, mais il ressemble surtout à une version arty d’Un village français, l’Occupation en moins. Déception : « l’envol » termine les mains dans la terre.