L’Été dernier s’achève sur une impression désarçonnante : celle d’avoir assisté à un film à moitié raté mais qui réussit magistralement sa sortie. C’est peut-être qu’il y a ici deux films en un et que le premier, celui que l’on attendait, ne sert finalement que de soubassement au second, autrement plus vénéneux. Le récit se concentre d’abord sur la relation que noue Anne (Léa Drucker), une femme bien sous tous rapports, avec Léo (Samuel Kircher), son beau-fils âgé de dix-sept ans. Venant d’une cinéaste comme Catherine Breillat, qui a filmé la sexualité avec autrement plus de frontalité et de perversité, ce versant-là déçoit un peu et semble mu par une intention assez cérébrale : ce que met en place au fond Breillat, c’est un remake inversé de Théorème où le visiteur serait pris à son propre piège. Car Anne sait très bien ce qu’elle fait. L’ouverture nous apprend qu’elle est une avocate spécialisée dans les violences sexuelles sur mineurs, tandis qu’elle confesse plus loin sa plus grande peur à son jeune amant : tout perdre, et plus encore, être l’artisan de sa propre chute. Anne apparaît comme attirée par la force gravitationnelle d’un trou noir situé en son intériorité même ; son plongeon dans l’abîme aura pour conséquence de montrer au grand jour sa propre noirceur.
Le film s’emballe lorsque Anne dévoile sa vraie nature : dans une scène assez impressionnante, le visage de Léa Drucker, dont les lèvres se referment en laissant entrouvert un petit creux de ténèbres, se recouvre sous nos yeux d’un masque. Ce qui passionne Breillat tient alors moins à l’interdit de la relation qu’au renversement opéré par sa révélation. Si Drucker brille de mille feux pour figurer la bascule de son personnage, il faut saluer aussi la présence d’un autre acteur génial, quand bien même sa filmographie ne reflète hélas pas l’étendue de son talent : Olivier Rabourdin, dont le visage buriné se macule de larmes dans un beau plan où il vacille, perdu, en s’accrochant à la chevelure blonde de son épouse. Dès qu’Anne devient une actrice, le film s’avère autrement plus passionnant, jusqu’au dernier plan, donc, qui en rabat les cartes. Devant l’éclat persistant d’une alliance dans la pénombre, on se demande si ce pacte étrange que l’on appelle le mariage ne constituait pas finalement le cœur secret du film. Cette extinction des feux, sublime, coupe le souffle, en même temps qu’elle laisse toutefois le regret de n’avoir que partiellement retrouvé ce parfum noir que dégage le cinéma singulier de Catherine Breillat. Mais ce n’est tout de même pas rien : par la force d’un seul fondu au noir, c’est comme si tout le film, inégal, trouvait enfin sa pleine mesure.