Faisant suite au diptyque des Trois Royaumes, cette co-réalisation, tournée en mandarin, poursuit la « filmographie du retour en Chine » de John Woo. En trente-cinq ans, par une drôle de boucle, Woo est passé du statut de petit prodige hongkongais à celui de cinéaste officiel, responsable de grosses machines épiques et nationales. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les images de Woo, naguère si légères, ont pris du plomb dans l’aile. Tout, dans ce wu xia pian des plus traditionnels, est lesté d’un inébranlable pompiérisme. Couleurs saturées, mouvements de caméra grandiloquents, sonorités surmixées, voix hyper-présentes : le spectateur doit se résigner à en prendre plein la gueule. C’est d’autant plus dommage que la lourdeur semble, envers le genre, un contresens absolu, puisqu’il y est toujours question de prendre son envol, de défier toute forme de gravité terrestre, qu’elle soit physique ou clanique.
Une intrigue complexe à souhait nous promettait pourtant une belle et longue série d’affrontements virevoltants. Dans la Chine ancienne, les clans s’arrachent la dépouille d’un moine bouddhiste, maitre d’arts martiaux, et dont la possession conférerait la vie éternelle. Drizzle, la plus habile tueuse du groupe, s’empare de la relique en guise d’émancipation : elle souhaite refaire sa vie, loin des massacres. Alors que, recluse et liftée, elle entame une histoire d’amour avec un coursier, ses anciens compagnons la retrouvent, bien décidés à recouvrir leur trésor. Le début du film emballe : la vitesse narrative mise en œuvre pour introduire la situation et les (nombreux) personnages est poussée à son comble, aux limites mêmes de la clarté. Les informations s’enchaînent et se télescopent dans un rythme effréné – empilement ébouriffant de montages parallèles, de fondus, de flashbacks – qui tendrait presque vers celui d’une bande-annonce. C’est très amusant : en donnant ainsi un coup de fouet aux expositions, habituellement éléphantesques, les deux cinéastes semblent nous annoncer un dégraissage général, une furie narrative réduite à ses énergies primaires, fondamentales.
Grosse erreur. Il faut moins d’une demi-heure au film pour s’enliser irrémédiablement, d’abord dans une love story dont la niaiserie s’entend avec une plastique kitsch franchement grossière, puis dans les larges ornières, très prévisibles, du wu xia pian lambda. On retombe alors dans un système de paliers et d’épreuves, menant irrémédiablement à un affrontement final attendu, alors que l’enjeu qui se présentait d’emblée à Su et Woo consistait à tout resserrer jusqu’à l’abstraction. Résultat : on se retrouve avec près de deux heures indigestes alors que le film aurait gagné à un amaigrissement d’au moins quarante minutes. Signalons tout de même la plus belle trouvaille du film : l’épée flexible que manie Drizzle lors des combats et qui s’enfonce dans la chair de son adversaire comme un serpent fond sur sa proie. Elle vainc par une trajectoire courbe, imprévisible, là où tous ses ennemis n’attendent d’elle que du rectiligne. En sortant ainsi des sentiers battus, par sa texture et sa logique cinétique indépendantes, elle fournit, lors des combats, une judicieuse traduction du caractère de sa maîtresse.