À rebours des films prestigieux de réalisateurs attendus et des mastodontes arty de cette sélection officielle vénitienne pour le moins inégale (pourtant pas si avare en belles surprises), le film d’Eran Kolirin présenté en compétition semble sorti de nulle part. Révélé avec La Visite de la fanfare il y a quatre ans, le réalisateur israélien n’a vraisemblablement pas suscité la même curiosité que certains de collègues auprès des festivaliers. Projeté dans une salle à moitié vide, The Exchange n’a inspiré qu’une légère indifférence (y compris au sein d’une partie de l’équipe de Critikat), comme s’il n’avait jamais vraiment existé. Ce qui, finalement, colle assez bien à ce film étrange, un peu flottant, qui pose le burlesque et l’absurde comme bases d’une réflexion sur l’appartenance : à la société, à l’environnement professionnel, à son pays, à sa famille… et à soi-même.
Oded est un type simple, un peu transparent, prof de fac marié à une charmante architecte, confortablement installé dans un appart’ aux tons beiges, sans aspérités, quelque part à Jérusalem ou Tel-Aviv. Un jour, Oded repasse chez lui au milieu de l’après-midi pour récupérer un dossier professionnel ; il y trouve sa femme endormie, qui a visiblement oublié de se réveiller après une longue sieste. Cet incident anodin provoque en lui une tempête inattendue, comme un dérèglement climatique qui inverse les saisons. Car désormais, Oded ne sera plus vraiment le même… Si le pitch peut paraître un brin théorique, The Exchange évite les écueils du film-concept grâce à une mise en scène parfaitement maîtrisée qui veille à ne jamais laisser le spectateur sur le bord de la route. Kolirin épouse le point de vue de Oded, qui semble être le premier surpris du décalage soudain de son quotidien et du regard neuf qu’il pose sur celui-ci. À l’inverse d’un Yorgos Lanthimos, qui dans Alpis marginalise ses personnages pour mieux les humilier, les avilir, Eran Kolirin accompagne son personnage dans son désir de pousser chaque jour un peu plus loin le bouchon de la déconstruction des rites. Ce qui donne lieu à une série de situations toutes plus absurdes les unes que les autres (et souvent drôles), auxquelles le cinéaste ne tente jamais de donner un sens quelconque. Le parti-pris peut déstabiliser, voire rebuter, mais l’empathie de Kolirin envers son héros donne au film une tonalité particulière, laissant libre cours à toutes les interprétations (The Exchange est-il une métaphore de l’impossible retour à la normalité pour un peuple qui a tant connu la peur et le conflit ?). Une bien jolie surprise.