Il y a dans cette présence en compétition officielle d’Alpis comme un parfum de retrouvailles entre Venise et le cinéma grec. Pour mémoire, rappelons la présence d’Attenberg de Rachel Athina Tsangari l’an dernier – une formidable découverte qui sortira enfin sur les écrans français le 21 septembre prochain. Yorgos Lanthimos y jouait un rôle et, dans Alpis, on retrouve Ariane Labed, Coupe Volpi de la meilleure interprétation féminine lors de la 67e Mostra. Sauf qu’on a connu retrouvailles plus heureuses… Alpis s’ouvre sur un numéro de GRS rythmé par Carmina Burana de Carl Orff. Et, dans une boucle, se ferme par une séquence analogue, cette fois bercée par Pop Corn de Hot Butter. Alpis serait-il un cheminement vers la légèreté pop pour des êtres claquemurés dans un profond mal-être ?
Le film doit son titre à une sorte de confrérie éponyme, à laquelle appartiennent quatre personnages. Au sommet, celui qui s’octroie le patronyme Mont-Blanc en fixe les règles, aussi arbitraires et rigoureuses que fantaisistes. Sous le regard de Lanthimos, le moral de la Grèce semble suivre les notations de la dette de son pays par l’agence Standard & Poor’s ; la société est un corps dépressif et déréglé, en proie à une puissante dynamique suicidaire. Le cinéaste entend bien briller à la grande compétition des bizarreries ; les conversations doivent être déconcertantes, mais aussi chaque relation interpersonnelle, scène de repas, de sport, de sexe, etc. Le tout étant traité sous formes de petites vignettes dont l’aspect abscons n’est là que pour nous murmurer à l’oreille que le cinéaste a quelque chose de trrrrrrès important à transmettre.
Pour filmer ce monde désynchronisé que des corps désincarnés ne parviennent pas à habiter, le paquet est mis sur une distanciation contaminant la moindre parcelle du métrage, au cas où l’on oublierait qu’il s’agit d’une représentation et d’un point de vue arrrrrrtistique sur le monde. Dissolution des silhouettes dans la profondeur de champ, corps démembrés par les cadrages ; Lanthimos semble persuadé que cette radicalité devrait épater la galerie et botter le cul des bourgeois. Comme dans son film précédent, ce cinéaste grec décidément droit dans ses bottes filme une idée – le malaise –, avec une idée de mise en scène : y inscrire le malaise. Cette fois avec une photo évoquant la Pologne du général Jaruzelski – alors que Canine offrait au moins une sorte de contrepoint à ce sujet. Il signe ici un film triste et pauvre, pas dans ce qu’il évoque, mais par l’idée profondément étriquée du cinéma qu’il déploie.