Après la saga Carlos, Après mai semblait, a priori, répondre à une même ambition narrative ; cette fois d’un point de vue plus personnel – la propre jeunesse du cinéaste – et non un biopic consacré à la vedette du terrorisme international. Une saga sur les années post-1968 qui pouvait laisser craindre bien des écueils, voire même donner des boutons – à ce propos, grâce au dossier de presse, on peut lire cette remarque à propos des costumes seventies de la part d’un comédien : « les pulls grattaient ! » (difficile de passer outre cette information cruciale) On attend plus ou moins d’Olivier Assayas, certains rien du tout. Avec ses creux et sa superficialité, son aspect régulièrement dévitalisé, Après mai bénéficie aussi de choix judicieux, notamment une approche du récit prenant le parti de la discontinuité, ainsi plus impressionniste que rétrospectif – même si l’on n’évite pas la reconstitution emprunte d’un certain fétichisme. Assayas s’enferre aussi dans des scènes plombantes et ratées, particulièrement lorsqu’elles sont rendues à un état statique : la rencontre avec des ouvriers sur la route de l’Italie, la projection d’un film militant en Toscane ; deux moments lourdement explicatifs, mal (pas ?) pris en charge par la réalisation.
Toutefois, on peut aussi reconnaître à Après mai le crédit du refus de l’écriture d’un roman collectif – la fresque monumentale, vouée à l’échec – pour se centrer sur un destin singulier (Gilles, que l’on découvre lycéen, et les années suivantes) autour duquel gravitent des personnages qui ne sont pas oubliés pour autant, entrant et sortant du récit. Ainsi de l’épopée post-1968, Après mai devient davantage un récit initiatique où un individu cherche à s’inventer lui-même, avec d’autres, dans un environnement innervé par les idéologies (du gauchisme libertaire à l’action violente) et les idéaux (vie en collectivité des hippies, tropismes orientaux psychotropes et/ou mystiques) alors en vigueur. Mais Gilles les effleure, représente une sorte de périphérie de ces expériences, de la même manière que les personnages sont des satellites. D’une certaine façon, dans un double mouvement, Gilles tourne autant autour du monde que le monde ne tourne autour de lui ; avant d’entrer de façon assez dubitative dans les studios Pinewood à Londres, et d’en sortir plein de certitude en traçant une trajectoire rectiligne. Assayas filme au présent, et c’est de ce point de vue qu’il regarde, sans cynisme ni goguenardise, le « souvenir d’un avenir », pour reprendre une formule de Chris Marker. Le romantisme aux cheveux longs des uns et des autres pointe bien, mais celui-ci est pataud, pas « désirable » – et le récit semble se caler sur ces adjectifs ; cet aspect hésitant dégage quelque chose d’assez touchant. La logique d’éparpillement du récit (personnages, choix de vie, idéologies) semble aussi annoncer l’atomisation de nos sociétés actuelles, de même que la logique groupusculaire des utopies post-1968. Ce dialogue passé-présent est transparent – un slogan formule clairement une « inquiétude » en laquelle il est difficile de ne pas reconnaitre celle ayant cours de nos jours chez les jeunes générations ; mais cet aspect convenu permet, de manière presque contradictoire, à ce que cet écho contemporain sonne assez juste.