Difficile de résumer l’intrigue d’espionnage de Cuban Network tant sa mise en place est laborieuse et confuse. Au début des années 1990, un petit groupe de Cubains fuit l’île communiste afin de rejoindre des associations anti-castristes à Miami. Le suspense du film repose alors sur le doute entourant leur trahison : ont-ils véritablement déserté ou sont-ils envoyés par le régime cubain pour infiltrer ces organisations violentes ? Cette trame géopolitique n’intéresse visiblement pas le réalisateur : les dilemmes idéologiques se trouvent systématiquement remplacés par des considérations sentimentales, tandis que les répercussions de la crise à l’échelle planétaire sont résumées par deux apparitions laconiques de Bill Clinton et de Fidel Castro à travers des archives télévisées. Sans doute conscient de ces lacunes, Assayas gratifie le spectateur, au milieu du film, de deux séquences explicatives avec un commentaire en voix-off censées éclaircir les enjeux du récit, mais qui, en réalité, ne font qu’ajouter à la confusion, à l’image de ce long flashback sur la création du réseau apparaissant à la fin de la première heure. Cette narration erratique se développe au fil de scènes qui accumulent les poncifs associés aux films de mafieux, du mariage fastueux aux disputes conjugales, en passant par un goût pour le clinquant et le luxe tapageur. Dans ce registre du film d’action à grand spectacle, quelques séquences émergent tout de même : l’arrivée à la nage d’un dissident sur l’enclave américaine de Guantánamo par une nuit de tempête, l’attaque de trois avions de tourisme appartenant aux anti-castristes par des MiG cubains, ou encore la pose de bombes artisanales dans des complexes hôteliers de La Havane par une jeune recrue naïve et inexpérimentée.
Histoires de couples
Si la dimension historique du film est largement laissée en friche, c’est que sa construction repose avant tout sur les trajectoires parallèles de deux couples mis à l’épreuve par les événements. Par leur beauté, leur réussite et leur célébrité, Juan Pablo (Wagner Moura) et Ana Margarita (Ana de Armas) symbolisent l’accomplissement du rêve américain dans ce qu’il a de plus matérialiste (pour son premier repas aux États-Unis, Juan Pablo se fait servir un menu MacDonald’s). À l’inverse, René (Édgar Ramírez) et Olga (Penélope Cruz) forment une cellule familiale plus austère régie par le devoir, la fidélité et la pression sociale. Cette opposition ne se traduit pas tant sur le terrain politique (les multiples rebondissements apportant la preuve qu’un mode de vie ultra-capitaliste peut aller de pair avec une fidélité au régime de Castro), que sur un plan exclusivement moral. En cela, Assayas dresse le portrait sans nuance d’une décadence forcément vouée à la destruction, contre celui d’une droiture à toute épreuve qui finit par triompher des institutions, des systèmes et des idéologies (cf. les traditionnels cartons de fin donnant des informations sur la suite des destins des « vrais » protagonistes, photos à l’appui).
Revoir Cuba
Le regard posé par le film sur Cuba s’avère toutefois plus intéressant, bien que malheureusement sous-exploité. En partie tourné à La Havane, Cuban Network semble vouloir placer la ville au cœur de son dispositif. Si cette tentative peine à trouver sa pleine mesure (on ne s’éloigne que rarement d’une vision de carte postale), elle n’en est pas moins à l’origine de quelques-uns des plus beaux plans du film, notamment ces vues aériennes de la capitale prises depuis le petit avion que pilote René à basse altitude afin de larguer des tracts clandestins dans les rues. Ces images disent un état de son tiraillement et de son déracinement : il survole la ville qu’il connaît par cœur et où réside toujours sa famille (il fixe son cap par rapport aux bâtiments en contrebas), tout en prenant conscience de son infini éloignement. Alors que Olga se débat pour obtenir le droit de quitter le pays, la quête de René, comme celle de Juan Pablo, après sa fuite spectaculaire, prend la forme d’un impossible retour.