Donald Rumsfeld nous parle. Du moins, l’ancien secrétaire de la Défense et « faucon » de l’administration George W. Bush parle à Errol Morris, le documentariste qui l’interroge dans son nouveau film The Unknown Known (c’est le deuxième secrétaire de la Défense à son palmarès, après Robert McNamara dans The Fog of War). Sur la base des mémos écrits et enregistrés par Rumsfeld durant sa longue fréquentation de la Maison-Blanche (depuis la présidence Nixon), Morris l’amène à évoquer son parcours politique et ses choix pris à ses différents postes, en particulier la gestion de la guerre menée par George W. Bush en Irak sur la base d’informations mensongères. Face caméra, avec un ton de commentateur politique neutre et parfois un large sourire, le sujet se prête de bonne grâce à l’exercice, d’autant plus que son interlocuteur lui laisse une large place pour défendre sa version des faits, esquiver quelques responsabilités, expliquer comment certaines décisions étaient inévitables compte tenu des informations qui lui parvenaient, voire invoquer un trou de mémoire quand on lui rappelle certaines déclarations.
Si Morris met bien en avant quelques contradictions dans les réponses de Rumsfeld, ce n’est pas de façon aussi serrée que d’autres réalisateurs donnant la parole à des personnalités controversées, comme Barbet Schroeder avec Jacques Vergès dans L’Avocat de la terreur. Au fil du film, ce n’est pas vraiment un portrait du personnage qui se dessine, mais plutôt un aperçu de la fiabilité des informations parvenant à l’appareil exécutif de la plus grande puissance mondiale, considérations faites sur la base des déclarations de l’ancien secrétaire traitées, à défaut d’une source historique infaillible, comme une histoire palpitante (comme le fait sentir la musique énergique de Danny Elfman).
La perspective est maligne (on évite de faire du rentre-dedans au sujet), mais néanmoins casse-gueule, car elle ne fonctionne guère qu’en accordant – justement – du crédit aux dires de l’interrogé. En somme, le soupçon que cette thèse de l’information indirecte servirait de paravent aux décisions les plus contestables du secrétaire Rumsfeld ne sera jamais dissipé. Morris en remet d’ailleurs une couche en s’appuyant (jusqu’à s’en inspirer pour le titre et les illustrations en images de synthèse de son film) sur la fameuse et effarante déclaration dite des « known knowns », prononcée par Rumsfeld en 2002 pour vendre aux médias le mensonge des armes de destruction massive prétendument possédées par l’Irak. Rappelons-en un résumé : « il y a ce que l’on sait qu’on sait, il y a ce que l’on sait qu’on ignore, et il y a ce que l’on ignore qu’on ignore ». Morris ajoute une quatrième catégorie : il y aurait « ce que l’on ignore qu’on sait », c’est-à-dire des informations qui auraient été à notre portée, mais qu’on aurait omises. Accidentellement ou non ? Le film esquive cette question. En gros, la vérité reste ailleurs, et le globe de flocons de neige qui sert de métaphore à la nuée de mémos de Rumsfeld ressemble à un beau nuage de fumée (un nouveau fog of war ?), pour une sortie un peu facile.