La filmographie de Sono Sion a la réputation de jouer le chaud et le froid. Chose surprenante à découvrir, sans doute. Car pour un quidam qui, comme votre serviteur, n’a encore vu aucune œuvre de ce cinéaste (a fortiori les encensés Himizu et The Land of Hope), il sera difficile de croire que l’auteur d’un concentré de n’importe quoi aussi cynique que Why Don’t You Play in Hell ? a jamais fait un seul bon film de sa vie.
Tentons de résumer l’intrigue. Une fillette de dix ans, vedette adulée d’un spot de pub pour un dentifrice dont tout le monde connaît la chanson par cœur, voit sa carrière brisée par la guerre des gangs impliquant son père, un parrain yakuza, et par le policier trop zélé qui mène l’enquête. Une équipe de cinéma amateur, bande de jeunes nerds caricaturaux qui se sont baptisés les Fuck Bombers, traîne dans les parages et capte même quelques scènes réelles de cette guerre. Dix ans plus tard, la fillette a bien mûri, la chanson de sa pub est toujours dans les têtes, la trêve des yakuzas s’effrite, le policier veille au grain, les Fuck Bombers sont toujours aussi nerds (à trente ans passés pour certains) et tout ce beau monde va se retrouver par un incroyable concours de circonstances… On devine bien, dans ce grand foutoir, la note d’intention de Sono : un hommage débridé au cinéma de genre japonais (même le nom de Fukasaku figure sur une devanture) et à la passion aveugle d’en faire. L’ennui est que son film formule surtout un hommage à sa façon à lui d’en faire, expérimentée, roublarde et encline à masquer son inanité par l’hystérie : zooms à tout bout de champ, bains de sang (littéralement), scènes choc gratuites (un dernier baiser aux tessons de verre, ça vous dit ?), retrouvailles de hasard à foison, flash-backs redondants, et surtout personnages enchaînés à leurs archétypes dignes d’un dessin animé avec grimaces en sus (le parrain rival obsédé par la fillette de la pub, le benêt amoureux transi, l’ado attardé réalisateur persuadé de courir après son chef d’œuvre, etc.) sans le moindre espoir d’en sortir, aussi téléguidés dans leur parcours que des marionnettes.
Le seul discours qui se dégage de cette mascarade est le fantasme de supériorité de son auteur, qui l’exerce aux dépens de tout ce qu’il filme. À la fin, après un attendu bain de sang filmé dans le film, avec force excès grotesques comme ultimes signes du mépris du cinéaste (voir le traitement réservé au benêt), la police débarque opportunément pour finir de liquider tout le monde, laissant au seul survivant le soin de prétendre à peu de frais à un discours sur l’acte de filmer comme expression d’une pulsion de mort et nécessitant des sacrifices. Soit la dernière d’une longue liste de mauvaises blagues, Sono se montrant plutôt enclin à sacrifier les autres… Celui-ci déclare que le scénario de Why Don’t You Play in Hell ? a ramassé la poussière pendant dix-sept ans avant qu’il le tourne. Il aurait mieux fait de réfléchir dix-sept ans de plus sur son désir de filmer avant de prétendre en faire un film.