Le premier long-métrage de la jeune réalisatrice israëlo-française Hadar Morag s’ouvre comme un film programmatique et référencé : dans un plan bleuté-vert-de-gris légèrement laiteux, un jeune garçon nu recouvert d’une cape de pluie transparente et les bras en croix est face à la mer, dos au spectateur, en plan américain. Une sorte de crucifixion retournée bien sûr illustrant le titre Lama Azavtani (Why Hast Thou Forsaken Me), dernières paroles du Christ en croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Puis, une citation de l’Évangile de Matthieu (9, 47-48) bien connue nous est donnée à méditer : « si ta main t’entraîne au péché, coupe-la, etc. ». Le film amplifie le raccord entre ce plan liminaire (une Passion) et la citation biblique (le péché et la coupe, la mutilation) qui le suit en décrivant le quotidien de Muhammad.
Le quotidien du jeune garçon est en effet un véritable chemin de croix : Muhammad est un petit trafiquant qui erre entre une boulangerie ironiquement nommée «Taste of Heaven Bakery» (un autre jeune garçon s’attèle au fonctionnement d’une machine fabriquant de la farine qui fait, précisément, un bruit d’enfer), une poissonnerie où l’on écaille et éventre sauvagement au couteau les poissons, la rue où il se fait agresser et le bidonville où vit sa famille. Sont ainsi donnés les éléments d’un récit d’apprentissage sous le signe d’une dérive infernale et d’un cinéma de la cruauté. C’est d’ailleurs un cut ou plutôt un hard cut (terme bien utile et à propos ici désignant, en montage, le passage d’une scène à l’autre sans aucun effet de transition entre les deux) qui nous fait entrer directement après le prologue dans un univers sonore fort et saturé et un univers visuel cru et très découpé.
À ce chemin de croix se mêle assez maladroitement il faut dire l’émergence d’une culpabilité d’ordre sexuelle chez le jeune garçon : désir qu’il éprouve pour le garçon de la boulangerie, comme pour un autre petit garçon dont a vraisemblablement abusé Gurevich, un aiguiseur de couteaux rencontré par Muhammad et qui va lui apprendre son métier ; relation ambiguë entre l’homme et le jeune garçon. Tout le film d’Hadar Morag tourne obsessionnellement autour de la question de la coupe d’ordre sexuelle : Muhammad a volé un couteau dans la poissonnerie et il va apprendre à s’en servir, moins contre les autres qui l’agressent que contre lui-même. Cependant le doute persiste lié à cette mutilation hardcore qu’il s’octroie in fine : est-elle d’ordre religieuse (une circoncision s’il l’on se place du côté des jeunes qui agressent et déculottent le jeune musulman Muhammad) et/ou d’ordre sexuelle (désir homosexuel, pédophilie) ?
S’il faut reconnaître à Hadar Morag un vrai travail formel relatif à son objet (la mutilation), manifesté par un montage cut et par un cadre qui tronque les personnages, le traitement très auteurisant et très poseur (jeux de réflexion des points lumineux notamment, flous) contraste volontairement avec une image très rêche et crue, presque clinique, celle d’un cinéma de la cruauté. Convenons que le dispositif se tient jusqu’au bout mais qu’il peut agacer par son caractère très démonstratif.
Le propos liminaire du film s’appréhende néanmoins mieux ainsi, quoique de façon tordue relativement à la citation biblique : Lama Azavtani (Why Hast Thou Forsaken Me) littéralise la question de la faute et de la coupe. Tout le problème réside cependant dans le traitement trop allusif qui associe de façon sous-jacente des problématiques religieuse et sexuelle. Si les éléments principaux à faire passer sont le mal-être et la culpabilité du jeune garçon liée à son homosexualité, son récit d’apprentissage manque finalement de densité comme de vraisemblance et ne fait que tourner autour de cette question du membre et du couteau… C’est cependant au titre de cette question homosexuelle que le film concourt pour le Queer Lion.