Sept minutes d’applaudissements : pour un premier long-métrage, Piero Messina peut s’estimer satisfait. Du moins davantage que son compatriote Luca Guadagnino, qui, projeté le même jour, a obtenu le résultat inverse. Sans accorder trop d’importance à cet enthousiasme festivalier, L’Attesa s’avère digne d’une certaine attention par la manière dont il nous fait osciller entre perplexité et surprise.
L’attente comme esquive
Messina met en scène Juliette Binoche et Lou de Laâge dans un drame où la relation entre les deux femmes devient le prisme à travers lequel explorer les questions connexes de l’attente, du deuil et du mensonge. Catherine, petite amie de Giuseppe, vient lui rendre visite dans la villa familiale en Sicile où il vit avec Anna, sa mère. Cependant l’ouverture du film, qui montre Anna entamant les préparatifs d’un deuil, nous fait comprendre sans peine que celle-ci est à présent la seule habitante de la maison. Ce qui ne l’empêche pas d’assurer à Catherine, tout juste débarquée, que son petit copain reviendra dans trois jours.
L’Attesa emprunte donc initialement le chemin du film noir à mystère, renforcé par la présence de tous les stéréotypes du genre : villa déserte, homme à tout faire taciturne, relation ambivalente entre la maîtresse de maison et la jeune hôte sensuelle. À cette option convenue s’ajoute un certain volontarisme esthétique, dans la mesure où Messina, assistant de Sorrentino sur le tournage de La Grande Bellezza, tente d’imposer d’entrée de jeu un style qui lui soit propre. Le résultat, entre paysages arides restitués dans des teintes sépias, visions frontales d’intérieurs en clair-obscur, et jardins d’une villa sicilienne sous le soleil ardent, détonne, moins dans l’idée d’une flamboyance baroque que par son incapacité à trouver un équilibre sans surjouer les tons et les ambiances (pari réussi d’un La Piel que Habito par exemple).
L’intrigue, quant à elle, a pour nœud le portable cassé du fils, grâce auquel Anna peut écouter les messages téléphoniques de sa petite amie, nous livrant l’arrière-fond de ce qui n’est pas une simple visite de Catherine mais bel et bien une tentative désespérée et passionnelle de retrouver Giuseppe. Malgré ce passe-partout scénaristique, on perçoit d’emblée les failles d’un tel dispositif (difficile d’occulter une mort à l’époque des réseaux sociaux…), et Messina a d’ailleurs le mérite de ne pas s’attarder à la recherche d’une vraisemblance compromise pour mieux emprunter d’autres cheminements.
Attente et dépaysement
Car, et c’est là ce qui fait le caractère intriguant du film, sa mise en scène aussi bien que son déroulement laissent place à des moments capables de viser juste. À commencer par la manière dont L’Attesa joue sur une diffraction de l’idée d’attente : attente certes du défunt destiné à revenir, mais aussi attente spectatoriale qui a pour objet les différentes stratégies d’évitement par lesquelles Binoche parvient à retarder le moment de la révélation, et enfin attente choisie par Catherine, qui la pousse à refouler ce qu’elle pressent.
Le film s’appuie donc considérablement sur son duo d’actrices. À cet égard, si l’on regrette le manque de présence de Lou de Laâge (en reconnaîssant au préalable que le rôle de « jeune fille sensuelle devenant femme » est aussi ingrat que stéréotypé), Juliette Binoche oscille quant à elle de l’usage immodéré du tic facial – visiblement censé incarner la fulguration émotionnelle – à des instants d’intensité véritable, au détour d’un regard ou d’un changement d’intonation.
Mais au-delà de ces intuitions, auxquelles il doit beaucoup, Messina réussit à rendre palpable un non-dit partagé entre les deux femmes, complicité progressivement construite où apparaît la manière dont toutes deux, à leur façon, font le choix de se laisser emporter par la fascination inhérente à l’attente. Le mensonge, corollaire de celle-ci, sert alors moins à voiler ou à cacher qu’à conférer une présence au fils disparu : chaque équivoque sciemment alimenté par Anna correspond à une nouvelle évocation.
Surtout, L’Attesa réussit en partie à déjouer les pièges qu’il se tend à lui-même, en délaissant le moment trop attendu de la révélation pour s’engouffrer dans cette entente muette, où le deuil et la compassion qui l’accompagne peuvent véritablement se manifester. La procession de la Madonne, qui correspond au dernier temps du film, constitue son segment le plus réussit, moins par la métaphore attendue de la résurrection que par la façon dont il laisse éclater, dans la lueur des bougies, le désarroi et l’errance d’Anna. Laissant deviner qu’elle est le vrai fantôme du film, ou mieux un double fantôme, à l’image des vitraux de la villa familiale : présence spectrale, mais aussi une surface où l’autre fantôme, celui qui la hante, peut enfin apparaître.