Certaines marques de smartphone utilisent, en guise de code de verrouillage, un carré composé de neuf points que le doigt doit parcourir en suivant un parcours précis. Pour les besoins de la première enquête au cœur de Decision to Leave, Hae-jun (Park Hae-il) essaie sans succès de débloquer l’un de ces téléphones en traçant des lignes simples composées au hasard (versions géométriques des « 0000 » et « 1234 » des codes traditionnels). Quelques séquences plus loin, Seo-rae (Tang Wei, qui jouait déjà une femme fatale dans Un Grand voyage vers la nuit), déverrouille enfin le téléphone de son mari défunt. Le circuit serpentin que ses doigts dessinent sur l’écran, sous le regard du policier, synthétise parfaitement le programme du nouveau film de Park Chan-wook. Bifurcations, détours, retours en arrière : le cinéaste coréen s’est fait le spécialiste d’un certain type de thriller à surprises, aussi bien formelles que narratives. Formelles, car outre l’abondance de twists en tout genre, Park Chan-wook aime distiller des scènes presque autonomes tirant partie d’un concept esthétique fort (citons exemplairement le fameux plan-séquence du couloir de Old Boy). Dans Decision to Leave, cette tendance accouche notamment d’interrogatoires multipliant des jeux de split-screen à partir de décors coupés en deux, de surimpressions de notifications de téléphone et de visages, ou d’une course-poursuite à pied, que la caméra, collée aux nuques des personnages, rend presque irréelle.
Cette générosité, qui n’a pas manqué d’impressionner le jury du Festival de Cannes (Park Chan-wook est reparti avec le Prix de la mise en scène), permet au film de ne pas totalement s’enfoncer dans la mollesse, mais elle reste malheureusement cantonnée à des effets détachés les uns des autres. Car derrière les quelques friandises ludiques faisant écran de fumée, le récit s’avère autrement moins stimulant : quand bien même il accumule les révélations, les vertiges ressentis face aux acrobaties scénaristiques de Mademoiselle semblent bien loin. Si la première partie s’avère plutôt convaincante, la deuxième se recroqueville sur la passion (peu palpable) de Hae-jun et de Seo-rae, au gré d’une nouvelle affaire à résoudre inutilement nébuleuse. C’est que le film, parfois à la limite de la frigidité, brosse le portrait de personnages glacés dont la duplicité recouvre différentes couches de culpabilité. L’ambition presque mélodramatique que semble nourrir le dernier tiers de Decision to Leave frise alors le ridicule, tant elle paraît désincarnée et consubstantielle au genre dans lequel le scénario s’inscrit (le film noir). Si l’on peut, encore une fois, savourer quelques belles trouvailles locales (telle la scène nocturne où le visage de Seo-rae est entièrement dévoré par le faisceau lumineux de sa lampe frontale), une fois parvenu au bout du chemin sinueux, les vagues effacent toute trace d’un quelconque trouble. Le film sera en fin de compte resté verrouillé, incapable de nous ébranler.