Avec cette pantalonnade pseudo-hitchcockienne écrite par Wentworth Miller (héros de la série Prison Break), Park Chan-wook vient confirmer son statut de réalisateur agité du bocal (et surtout de la caméra). C’est d’ailleurs le seul intérêt de ce Stoker, exercice brillant par sa vacuité et un sens du sérieux qui sied mal à l’affaire.
Ce n’est pas la première fois que l’on voit un cinéaste asiatique se frotter à l’élaboration d’un film tourné sur le continent américain, en langue anglaise, avec des acteurs du cru. La liste est même assez longue (John Woo, Tsui Hark, Wong Kar-wai, Ringo Lam, Wayne Wang, Hideo Nakata, Ang Lee…) et nombre d’entre eux s’y sont cassé les reins, empêtrés dans des logiques de production qui ne pouvaient que restreindre leur emprise sur le projet. Mais voilà Park Chan-wook, qui semble avoir bien négocié son contrat puisque, de la première à la dernière seconde, on ne voit que lui. Dès le générique, il prend les devants, avec une esthétique hyper léchée, quelques inutiles arrêts sur image – du chic et du choc – et dépose sur son film une coquette étrangeté comme on nappe un gâteau sans saveur d’un glacis censé faire illusion.
Cela fait déjà une bonne demi-heure que Stoker est lancé, et l’on en est encore à se demander ce qui, au sein du récit, a bien pu éveiller l’intérêt du cinéaste coréen. Est-ce la détresse d’une ado renfermée prénommée India (Mia Wasikowska) face à la mort de son père ? Le mystère qui entoure la venue de son oncle Charles (Matthew Goode) jusque-là porté disparu ? Ou bien l’hypocrisie d’une mère un peu allumeuse (Nicole Kidman) qui semble trop bien se faire à l’idée d’être veuve ? C’est un peu tout cela à la fois, c’est surtout l’occasion de dresser une compilation de comportements dysfonctionnels sans jamais feindre que la sauce puisse prendre. Car il faut bien le dire, au fond, Park Chan-wook se contrefout de créer de l’unité d’où puisse émerger une quelconque complexité des rapports. Une séquence emblématique, en un montage alterné totalement inopérant, vient articuler la découverte par India d’un cadavre dans le congélateur et le meurtre de sa tante par son oncle Charles. Même si la séquence avance à pas de loup, les deux scénettes qui la compose, censées se dérouler dans une proximité temporelle, échouent à faire naître un enjeu qui est donné d’avance et se bornent à élaborer un rapprochement morbide entre les deux personnages.
Park Chan-wook semble considérer que les seules choses qui puissent être dignes d’intérêt sont les états psychiques extrêmes et l’outrance. Après tout, pourquoi pas ? Mais l’outrance mérite qu’on lui accorde un peu de distance et de folie ; au premier degré, elle n’est qu’un gadget de plus au service d’une vaine provocation. C’est là tout le problème du film : Park Chan-wook ne sent pas à quel moment sa mise en scène mérite d’être sérieuse et ramassée, et lorsqu’elle devrait au contraire lâcher les grands chevaux. Preuves à l’appui : une diabolique scène de piano à quatre mains, entre trouble et séduction, est tout simplement flinguée par la volonté du réalisateur de faire usage de virevoltants mouvements d’appareil derrière les personnages, alors qu’il tenait là un beau moment de tension qui aurait mérité plus de calme et d’application. Et à l’inverse, une séquence de masturbation sous la douche – possible relecture de la scène de Psychose sous l’angle d’une extase morbide – est sagement illustrée, en flash-back, par les images qui provoquent cette excitation.
Ces exemples ne sont pas qu’anecdotiques, ils sont au diapason d’un film où le réalisateur rate à peu près toutes les perches qui lui sont tendues. Alors qu’il met en scène une riche famille vivant reclus dans sa grande maison de poupée (on pense ici et là, notamment dans l’utilisation des couleurs, au dernier Tim Burton), il néglige totalement le potentiel névrosé, desperate housewife botoxée de Nicole Kidman, et relègue son personnage au rang d’utilité narrative. Il ne s’appuie pas non plus sur l’ambivalence physique de Matthew Goode – un visage digne d’une gravure de mode pour un corps maigrelet et arqué – piste pourtant évidente pour traduire la dualité de son personnage. Derrière l’épate stylistique et tonitruante se cache un cinéaste qui n’ose pas le grand-guignol, un faux provocateur qui manque singulièrement de second degré.