Des nombreux échecs que Sidney Lumet accumulera dans les années 1980 et 1990, À la recherche de Garbo est l’un de ceux qui mériteraient le plus d’être redécouverts aujourd’hui. Mineur et fragile en comparaison des chefs d’œuvre qui ont fait la réputation du réalisateur, le film n’en est pas moins une humble déclaration d’amour au cinéma d’une sincérité désarmante. Et qui, mieux que l’impériale Anne Bancroft, pourrait nous convaincre que la magie du septième art peut transcender l’existence ?
Difficile d’imaginer la tête qu’ont pu faire les financiers lorsque leur fut présenté le pitch d’À la recherche de Garbo. Mais on se demande bien quel serait l’intérêt du cinéma s’il n’avait pas le pouvoir de nous faire croire avec une douce conviction aux histoires les plus abracadabrantes. Estelle Rolfe (Anne Bancroft), femme énergique qui s’est battue toute sa vie contre les injustices de ce monde, apprend qu’elle est atteinte d’une tumeur au cerveau et qu’il ne lui reste plus que quelques mois à vivre. Hospitalisée, elle exprime une dernière volonté – totalement fantasque – et demande à son fils, un trentenaire qui passe continuellement à côté de sa vie, de l’aider à réaliser un rêve de petite fille : lui permettre de rencontrer son idole de toujours, Greta Garbo, retirée de l’industrie cinématographique depuis plus de quarante ans. Commence alors un véritable jeu de piste pour retrouver la trace de la Divine et la convaincre de venir rendre visite à une anonyme condamnée à mourir sur son lit d’hôpital.
Finalement, il n’est pas très surprenant qu’un scénario pareil ait pu séduire Sidney Lumet, l’une des figures emblématiques d’Hollywood des années 1960 et 1970, alors en sérieuse peine de vitesse au sein de l’industrie à l’aube des années 1980. En dépit des nombreux films mineurs qui ont parsemé la deuxième partie de sa carrière (à l’exception notable d’À bout de course et de 7h58, ce samedi-là qu’il a réalisé peu avant de décéder), le cinéaste a toujours conservé une foi inaltérable en le septième art. Militant et humaniste, Lumet a su mettre ses convictions au service du cinéma (et non l’inverse) pour livrer des œuvres aussi marquantes sur le plan formel que nourries d’une propension à l’empathie qui ne sombre jamais dans une sorte de complaisance niaiseuse. C’est donc assez logiquement que le parcours du fils d’Estelle est parsemé de belles rencontres (un détective fatigué, une vieille femme extravagante, un homosexuel rongé par la solitude) qui rappelle combien le réalisateur confiait à ses seconds rôles la responsabilité de faire exister d’autres histoires en marge de la trame principale, ne les réduisant finalement jamais à la simple fonction de faire-valoir.
Avec un sujet comme celui-ci, il aurait été tellement facile de verser dans le pathos putassier en s’évertuant à faire converger l’ensemble du film vers la réalisation de ce rêve absurde auquel est suspendue la vie d’une femme. Mais la belle réussite d’À la recherche de Garbo (et c’est ce qui peut déstabiliser au début) repose sur le choix d’avoir multiplié les chemins de traverse pour que l’émotion naisse subtilement de l’accumulation de strates scénaristiques, rendant l’enjeu initial du film (retrouver une actrice légendaire qui a sciemment choisi de faire défaut à son image publique) de plus en plus abstrait, comme si ce qui importait finalement, c’était le chemin parcouru par le fils d’Estelle qui, en tentant de réaliser le rêve de sa mère, part finalement à la conquête de sa propre vie. Toute la belle force du film repose alors ici, dans ce passage-relais entre deux personnages, d’un trop-plein de vie condamné à devenir inutile vers quelqu’un qui n’a jamais cessé de se manquer.
Il serait difficile de ne pas commenter la scène tant attendue du film : la rencontre d’Estelle sur son lit d’hôpital et de Greta Garbo. Encore une fois, déjouant les attentes initiales du spectateur, le réalisateur n’essaie même pas d’offrir une représentation contemporaine de la célèbre actrice. Disparue des écrans depuis 1941 (et son dernier film, La Femme aux deux visages de George Cukor), celle-ci s’est humblement retirée dans son appartement new-yorkais, fuyant toute commémoration de sa gloire passée. Ici réduite à un dos de femme âgée (mais qui bouge énergiquement), Greta Garbo ne prononce pas un mot (si ce n’est lors de la dernière scène du film pour confirmer le passage-relais entre les personnages et l’éclosion de l’un d’entre eux), ce qui interpelle évidemment vu le titre original Garbo Talks, référence au premier film parlant de l’actrice qui avait été promu avec cette phrase. Sa présence ne vient jamais écraser celle du personnage d’Estelle (admirablement porté par Anne Bancroft) vers qui le film est entièrement tourné. L’actrice légendaire devient simplement le réceptacle des rêves et des projections qui font le moteur d’une existence qui, sans cinéma, ne vaudrait certainement pas la peine d’être vécue.