Véritable leitmotiv dans l’œuvre de Sidney Lumet, l’injustice est toujours ébranlée par ces figures d’anti-héros qui n’ont plus que pour seule conviction une foi inébranlable dans la justice des hommes. Le Verdict, admirable démonstration du savoir-faire du réalisateur de Serpico, est loin de faire exception : sens du détail, finesse du scénario, direction d’acteur prodigieuse. Un anti-Erin Brockovich.
Frank Galvin (Paul Newman) est un avocat vieillissant qui écume les chambres funéraires à la recherche de potentiels nouveaux clients. Sa réputation perdue depuis une sombre affaire de faux témoignage qui lui a coûté sa place dans un prestigieux cabinet d’avocats, il s’accroche à ses bouteilles d’alcool comme un naufragé à une bouée. Mais alors que la vie semble désespérément passer à côté de lui, il se voit confier une très lourde affaire d’erreur médicale où se joue la réputation d’une institution hospitalière religieuse aussi puissante qu’arrogante. Envers et contre tous, il va refuser l’offre amiable qu’on lui propose pour mener un procès qu’on dit perdu d’avance. Ses raisons ? Sa foi en la justice mais aussi le besoin vital de retrouver sa dignité…
Comme dans beaucoup de ces films qui ont contribué à faire sa gloire, Sidney Lumet voue un attachement particulier pour ces hommes capables de se battre seul, envers et contre tous, pour que justice soit faite. On pense bien évidemment au grand classique Douze hommes en colère ou à Serpico, magnifique portrait d’un homme idéaliste et intègre qui ira jusqu’à payer de sa vie son refus d’abdiquer devant l’injustice. Mais ici, le portrait de Frank Galvin est teinté de cette ambiguïté tenace que Lumet n’a jamais peur d’intégrer à son propos. Sans atteindre l’inclassable The Offence découvert sur le tard l’année dernière, Le Verdict nous présente d’abord un homme peu aimable, violent et alcoolique, capable de s’incruster dans les enterrements et de passer outre la douleur des proches pour glisser une carte de visite.
Son implication dans ce procès n’est pas d’une limpidité totale non plus. Comme le lui rappelle le beau-frère de la victime, Frank Galvin n’a pensé qu’à lui et à son honneur en refusant l’offre amiable – et plutôt alléchante – que leur proposait l’hôpital. Au nom de quoi peut-il prendre le risque de ne pas laisser à cette famille l’espoir de se reconstruire ailleurs ? La conviction n’est donc ni immédiate, ni innée. Elle se gagne progressivement : au détour de rencontres (la jeune victime prostrée dans son lit, une jeune et séduisante jeune femme dont les intentions ne sont pas claires, un juge acquis à la défense), l’avocat sait qu’il ne retrouvera foi en l’humanité qu’en gagnant ce procès.
Mais l’immense talent de Sidney Lumet ne se résume pas qu’à cela. Pour justifier ce regard plein d’exigence sur le monde et pour impliquer le spectateur à qui il adresse cette exigence, le réalisateur ancre systématiquement son propos dans le quotidien d’une cité, avec le parti-pris esthétique de faire presque du documentaire. Le Verdict, bien que considéré comme mineur dans la filmographie de Lumet, tient pourtant une place importante dans la carrière du réalisateur : deux ans plus tard, il réalise À la recherche de Garbo qui marque une longue traversée du désert pour celui qui ne reviendra en force qu’en 2007 avec l’efficace 7h58, ce samedi-là.