Film carcéral sur fond de Seconde Guerre mondiale, La Colline des hommes perdus relate la mutinerie de soldats britanniques faits prisonniers en Libye par leur propre camp. Si The Hill consolide ainsi la recette « fullerienne » d’un bon métrage (« L’amour, la haine, l’action, la violence, la mort, en un mot : l’émotion »), il vise surtout à incriminer les abus de pouvoir dans tout ce qu’ils ont de plus sadique. Enfin, c’est grâce aux jeux physiques de ses acteurs et la brillante réalisation de Sidney Lumet, qu’un tel film peut aujourd’hui se mesurer à certains films cousins de Stanley Kubrick, Les Sentiers de la gloire et Full Metal Jacket en tête.
Aux films de guerre dont l’action se déroule sur un front opposant deux camps antagonistes, ce film réalisé en 1965 et fixé sur un camp militaire allié en impose un détournement, si ce n’est le contrechamp d’un cinéma américain en mue. Là où, en temps de guerre (filmé), l’élan patriotique préservait le tissu hétérogène d’une lutte contre l’ennemi, La Colline des hommes perdus prend, lui, ce contre-pied qui fait s’opposer des geôliers aux soldats d’une même armée. Dans ce camp de redressement où les murs sont érigés et la discipline de fer inculquée, débarquent cinq soldats déserteurs ou coupables, aux yeux de la loi militaire, d’avoir dérogé à la règle d’or. À leur tête, Sean Connery qui, robuste soldat à l’esprit imperméable au drapeau, a refusé d’aller se faire bousiller au front en cognant son supérieur. Lui et ses camarades prisonniers plongent bientôt dans l’enfer carcéral où brimades, sévices et chantages, impulsés par l’odieux sergent Williams, sont légion (d’honneur). Le sadisme du pouvoir militaire est tel, qu’il est symbolisé, pour les besoins du cinéma et du discours antimilitariste, par une pyramide de sable érigée au milieu du camp que, sous un soleil de plomb, les prisonniers doivent escalader pour mieux rentrer dans le rang. Évidemment, les dérives du pouvoir gagneront les esprits et débrideront les corps pour consolider une des plus belles rébellions de l’histoire d’un cinéma américain que l’on jugera encore en devenir.
Une telle opposition de conduite et d’engagement va bientôt facturer les lignes et conduire à la folie. La puissance du scénario est de révéler ces personnages au fur et à mesure de leurs prises de bec, sorties punitives et autres délires furieux. Magnifiquement caractérisés, chacun des cinq prisonniers occupent un espace, un profil (solitaire), qui, dans sa singularité, offrira d’intrigantes interactions (souvent drôles) et de puissants retournements. Aussi, toute la force du scénario (adapté par l’auteur même du roman) s’arcboute sur ce refus de manichéisme qui, au fil des événements (la mort d’un prisonnier épuisé sur la colline), coiffera chacun de nouveaux masques. L’histoire filmée permet ainsi, en sus de battre en brèches quelques motifs de la condition carcérale, de dégoupiller les maux (racisme, barbarisme, sadisme) d’un système qui, abusif, s’affichera comme profondément déviant. Du commandant quasi invisible, au sergent-major fou et pervers, jusqu’aux fantassins esclaves, tous les comportements, bouillonnants au cœur de cet enfer africain, vont éclater, virer de bord et conduire à la dépense physique et violente.
Pour mettre en scène cette sèche peinture de la cruauté humaine (aucune musique additionnelle), le grand Sidney Lumet visite, avec sa caméra, toutes les géographies du fort militaire. La scénographie dessinée, même en de récurrents plans larges, n’offre ainsi ni respiration ni porte de sortie. Si dans La Colline des hommes perdus, on ne se cogne pas aux murs des cellules, les visages braillards de l’autorité (filmés en contre-plongée) se chargent eux de les cimenter. Aussi, la fameuse colline, véritable instrument de torture, joue dans la première partie du film, un rôle des plus symboliques. Pyramide punitive, les prisonniers l’escaladent avec leur paquetage jusqu’à l’épuisement. L’objectif de Lumet, positionné à son sommet, par des balayages panoramiques qui croisent l’ardent soleil, retranscrit cette folle épreuve. A son pic dramatique, cette reprise du mythe de Sisyphe, dans sa brutale répétition, impose à l’image d’incroyables vertiges prompts à l’insolation rétinienne (caméra portée). Il faut aussi louer l’incroyable fluidité du montage, pourtant régi par une tension, qui se libère par endroits en de folles prouesses. De même, photographiées en un superbe noir et blanc, chaque perle de sueur, chaque brûlure et plaie vive ruisselantes à l’image, sont sculptées comme les secousses traumatiques d’une machine infernale.
Machine infernale que la hiérarchie du pouvoir militaire aura créée à la force d’un bâton qui, devant l’inestimable esprit désobéissant de quelques-uns (et Lumet en a enfanté, souvent brimés d’ailleurs), la dévoilera finalement telle qu’elle est : friable, calculatrice et bornée. Et, bien heureusement, pour son meilleur, l’Histoire (du cinéma) a(ura), la plupart du temps, jugé toute cette bande de tortionnaires.