Il n’est pas si étonnant de voir Jim Jarmusch s’emparer de la figure du zombie, lui qui mettait déjà en scène dans Only Lovers Left Alive des morts-vivants aristocrates regardant de haut le reste de l’humanité, qualifiée avec dédain de « goules ». Voilà que ces mêmes goules occupent le centre de The Dead Don’t Die, variation post-moderniste du cinéma de George Romero, dont le film reprend l’horizon politique (les zombies errent en répétant inlassablement leurs occupations passées de consommateurs) qu’il greffe à des préoccupations plus spécifiquement contemporaines (le sérieux de la crise environnementale, les fake news, Trump). Jarmusch fait toutefois preuve d’un entre-deux assez roublard dans la manière dont il reprend ce canevas avec une distance ironique – donc en prenant le film à moitié au sérieux, avec une nonchalance revendiquée –, tout en recyclant bel et bien un discours critique, porté par un monologue final atterrant de littéralité. Ce monologue est prononcé par la seule figure d’importance sauvée au terme de l’intrigue, Hermit Bob (Tom Waits) qui, comme son nom l’indique, s’est retiré du monde civilisé. Contemplant de loin (à nouveau, de manière distanciée) l’humanité s’éteindre, il incarne d’abord un possible relais du spectateur dans l’univers méta du film, avant d’apparaître comme un alter ego du cinéaste, qui pointe les signes avant-coureurs et souligne ce qu’ils impliquent.
Cette figure, sur laquelle le film s’ouvre et se referme, constitue son pivot en posant un regard désaffecté et nihiliste sur ce qui l’entoure : l’intrigue n’épargne personne, si ce n’est trois adolescents auquel il s’intéresse en fin de compte assez peu, du blanc trumpiste aux petits hipsters de Cleveland. Reste que l’univocité de ce regard n’est pas la seule raison de l’échec patent du film, d’une platitude qui ferait passer les derniers Jarmusch, déjà peu convaincants, pour des films accomplis. The Dead Don’t Die articule surtout, de manière confuse et encore une fois ambivalente, une réflexion sur le caractère dégénérescent et réanimé des images, par le truchement d’un scénario qui s’adonne au recyclage (cf. le personnage de Tilda Swinton, qui contracte en un corps plusieurs motifs identifiés du cinéma de genre) et pourrit peu à peu comme la chair des morts-vivants. Il pourrait émerger là une forme d’autocritique de la citation jarmuschienne, qui n’est pas sans cultiver l’éloge d’un bon goût (auquel s’oppose, dans une séquence moins « critique » que réactionnaire, le défilé de zombies munis de smartphones). Mais le cinéaste ne franchit jamais complètement le Rubicon, se contentant d’un aplanissement des trajectoires par lesquelles chacun se voit condamné au même sort – ashes to ashes, dust to dust. À l’arrivée, que reste-t-il ? Une comédie poussive, un film d’horreur grossièrement intellectualisé, une tentative post-moderne sans grand intérêt d’un film lui-même zombie.