Près de neuf ans après l’étonnant Irma Vep, Olivier Assayas retrouve l’actrice hongkongaise Maggie Cheung dans Clean, portrait sensible d’une junkie esseulée en quête de repères affectifs et d’une nouvelle vie.
Emily, le personnage qu’elle incarne ici, voit sa vie chaotique s’effondrer le jour où son compagnon musicien meurt seul d’une overdose. Délaissée de tous et rendue responsable de son décès, elle se met en tête de récupérer la garde de son jeune fils, déjà confié depuis de nombreuses années à ses beaux-parents américains. Entre l’Europe et les États-Unis, la jeune femme ne va alors cesser de flotter et de se heurter, tentant désespérément de se construire une nouvelle identité, de trouver enfin une langue qui sera la sienne et qui saura incarner ses émotions les plus troubles. De rencontres en expériences, elle s’éveillera peu à peu à la complexité du genre humain, retrouvera foi et confiance.
Ode généreuse à la musique rock que le réalisateur chérit depuis sa jeunesse, Clean est surtout l’histoire d’une magnifique rédemption dont le propos ne sombre jamais dans la complaisance et les facilités mélodramatiques. Si le discours tend parfois à devenir trop schématique ou volontariste en ressassant les méfaits bien connus de la drogue, Olivier Assayas, dont c’est ici le onzième long-métrage en tant que réalisateur, dépasse allègrement tous les pièges qu’il s’était tendu en stylisant sa mise en scène avec brio et efficacité. Il construit autour de son personnage principal un monde trouble et changeant dont l’étonnante richesse se dévoile par fulgurance, notamment lors de cette troublante scène où la jeune femme s’isole au bord d’un lac pour se droguer. L’équilibre délicat de l’œuvre tient également du fait que le réalisateur a su toujours faire preuve d’un grand talent pour donner corps à chacun de ses personnages (voir Fin août, début septembre ou même Les Destinées sentimentales), déployant entre chacun d’eux une multitude d’enjeux et de différends dont la complexité maîtrisée évite systématiquement que son propos ne sombre dans le manichéisme. Et même si les personnages de second plan ne font que passer furtivement dans l’univers dépeuplé d’Emily, ils n’en restent pas moins essentiels à la constitution de son équilibre, à l’édification d’une nouvelle vie qui doit se nourrir de ces brèves rencontres qui sont autant de miroirs grossissants, rassurants et souvent déstabilisants. Pour ces seconds rôles, le réalisateur n’a d’ailleurs pas lésiné sur l’emploi de talents certains dont celui de Jeanne Balibar en homosexuelle esseulée qui n’a de maturité que pour déjouer les pièges du show-business, et de l’étonnante Béatrice Dalle dont les quelques démêlés judiciaires nous font trop souvent oublier ses grands talents d’actrice construits sur l’instinct.
Moins référencé que ses précédents films trop souvent froids et formalistes, Clean reste néanmoins un hommage vibrant au cinéma, et prouve bien heureusement que la création française peut encore réserver de grandes surprises en refusant de se complaire dans l’académisme et le nombrilisme.