Sur le papier, Roman Polanski semblait être le réalisateur idéal (avec Brian De Palma) pour adapter le best-seller de Delphine de Vigan, D’après une histoire vraie, une troublante et vertigineuse plongée dans les affres de la création littéraire. L’autrice s’y amusait à jouer avec le réel (elle est la narratrice du roman, en proie à une panne d’inspiration suite à l’immense succès de son précédent livre) pour mieux plonger dans le fantastique. On imaginait très bien le cinéaste s’emparer de ce roman qui explore des sujets tels que le double, la manipulation et la schizophrénie, et l’on se délectait déjà à l’idée de le voir retrouver un genre cinématographique (l’épouvante psychologique) dont il a signé quelques-unes des œuvres les plus marquantes, de Répulsion à Rosemary’s Baby en passant par Le Locataire.
Fantasmes
Las, ce film-là n’existera désormais plus que dans nos fantasmes de cinéphiles, tant le résultat à l’écran sidère par son insignifiance. À tout prendre, on aurait préféré que Polanski se noie dans un délire baroque à l’outrance assumée, qu’il flirte avec le mauvais goût et le grotesque. La réalité est pire : D’après une histoire vraie est juste un téléfilm à peine mis en scène que l’on pourrait regarder d’un œil un dimanche pluvieux sur un écran d’ordinateur. Il y avait pourtant de quoi se mettre sous la dent avec l’histoire de Delphine (incarnée par Emmanuelle Seigner, bien moins inspirée que dans le précédent film de Polanski, La Vénus à la fourrure), une écrivaine qui se lie d’amitié avec une de ses admiratrices, surnommée Elle (Eva Green, dans un de ses rares rôles en langue française). Celle-ci va progressivement s’immiscer dans la vie de Delphine, lui apportant son amitié et lui prodiguant de nombreux conseils au moment précis où l’écrivaine est dans une impasse : déboussolée par le départ de ses enfants et les absences prolongées de son compagnon, à court d’idées pour donner une suite à son précédent roman, Delphine est fragile et rapidement, elle ne peut plus se passer d’Elle. Mais la mystérieuse jeune femme va progressivement resserrer son emprise, jusqu’à imiter la coupe de cheveux et le style vestimentaire de Delphine, et même usurper son identité…
Polanski et son co-scénariste Olivier Assayas ont très bien lu le roman de Delphine de Vigan, en utilisant probablement plusieurs surligneurs fluo et toutes sortes de post-its (les mêmes que ceux que Delphine et Elle, également écrivaine, collent sur les murs de leurs bureaux et dans leurs carnets pour que le spectateur comprenne bien qu’elles écrivent des livres). Le scénario suit le roman à la lettre, et Polanski se contente d’illustrer platement chaque scène sans jamais réussir à y injecter un quelconque trouble. C’est bien là le comble : comment un cinéaste comme Polanski a t‑il bien pu à ce point ignorer l’ambiguïté de la matière littéraire qu’il adapte ? Pourquoi ne ressent-on jamais le vertige de cette histoire de vampirisme et de possession ? La réponse est dans un potentiel spoiler pour qui n’a pas lu le livre ; tout juste pourra t‑on dire ici que Polanski aborde le roman en faisant de l’une de ses multiples interprétations (la plus plausible, même si de Vigan est suffisamment adroite pour laisser le doute perdurer bien après le mot FIN) une donnée qu’il prend tout juste la peine de dissimuler. Un peu comme si Shyamalan, dans Sixième sens, avait grossièrement balisé son film pour que le doute sur son issue soit dissipé le plus rapidement possible.
Personnages en quête d’auteur
Le regard que porte Polanski sur son intrigue et ses chausse-trappes pourrait faire sens (c’est toute la beauté des adaptations cinématographiques des œuvres littéraires : celle de donner chair non pas à des personnages de papier, mais à la subjectivité d’un lecteur qui se trouve être aussi cinéaste) si celui-ci y trouvait la matière à brasser des obsessions et à les accorder à sa mise en scène. Mais celle-ci est singulièrement dénuée de toute inventivité, allant même jusqu’à passer totalement à côté de certains motifs (les lettres anonymes que reçoit Delphine), réduits ici à n’être qu’un artifice scénaristique supplémentaire quand ils auraient pu injecter un peu plus de trouble dans la relation qui unit les deux femmes. Dans un tel naufrage, les deux actrices principales sont bien en peine de garder la tête hors de l’eau. On attendait beaucoup d’Eva Green, actrice passionnante chez Gregg Araki ou Tim Burton, dans ce rôle qui semblait d’emblée écrit pour elle. Mais Polanski ne sait tout simplement pas la filmer, et encore moins la diriger. La diction si étrange de la comédienne, son regard tour à tour séduisant et inquiétant, finissent par se retourner contre elle, tant elle est perdue dans un film écrit et filmé à la va-vite, sur lequel le nom de son réalisateur semble avoir été apposé sans qu’il ait pris la peine de s’y intéresser vraiment.