Encanto, le nouveau Disney, se démarque par quelques parti-pris qui en font un véritable spectacle musical : la durée des numéros musicaux et la manière dont ils font progresser l’intrigue, mais aussi l’unité de lieu, à travers la maison de la famille Madrigal. Il est d’ailleurs intéressant de rapprocher ces deux éléments : la maison enchantée d’une part, et le rôle de la musique d’autre part. Le film raconte l’histoire du « miracle » qui fait tenir le lieu par magie et donne un don, un rôle, à chacun de ses occupants. C’est un miracle sans dieu et sans autre religion que celle des objets, des décors et des personnages : en réalité, ce miracle est indissociable de l’enchantement musical qui le célèbre.
À quoi ressemble alors la magie d’Encanto, si on part du principe que les chansons de Lin-Manuel Miranda en contiennent la formule ? À la manière de l’introduction d’In the Heights (autre comédie musicale, écrite par le même Miranda, sortie cette année), les passages musicaux d’Encanto, en intégrant naturellement les dialogues à la mélodie, célèbrent la collectivité : à l’unisson est préférée une forme d’harmonie qui superpose successivement les interventions de chacun des personnage, faisant participer de plus en plus de personnages au refrain (c’est le cas par exemple dans « We Don’t Talk About Bruno »). Le film parle de communauté (ici, la famille Madrigal et sa maison) mais aussi de sa crise, quand les individualités ne s’y reconnaissent plus ou n’y trouvent plus leur compte. C’est Mirabel, l’héroïne du film, qui se fait la porte-parole de cette dissonance : elle est la seule à ne pas posséder de don magique et va solliciter un à un les membres de la famille pour comprendre d’où peut venir la menace d’extinction du miracle, dans plusieurs solos. On peut noter à ce propos que Tick Tick Boom, le biopic également sorti cette année par Lin-Manuel Miranda sur le compositeur de Broadway Jonathan Larson, inverse le postulat du Disney : la solitude de Jonathan vient de son don là où celle de Mirabel vient de ne pas en avoir. La dernière caractéristique des chansons de Lin-Manuel Miranda est leur vitesse et leur utilisation du crescendo. Bien souvent, les informations données dans la chanson arrivent trop rapidement et les personnages s’acharnent à les récapituler, en allant de plus en plus vite, comme c’est le cas dans la scène d’introduction du film, « The Family Madrigal », quand Mirabel présente plusieurs fois les membres de sa famille en les énumérant. À propos de cette sensation d’accélération, et de la pression irrésistible du temps qui passe, il est amusant de voir que le « tick tick » du titre de son film sur Jonathan Larson se retrouve à plusieurs moments dans les chansons d’Encanto (par exemple dans celle de Luisa, « Surface Pressure »). Des trois œuvres auxquelles a contribué Lin-Manuel Miranda cette année, le Disney pourrait paraître la plus mineure : c’est en réalité celle qui exprime avec le plus de candeur la fantaisie chatoyante de ses compositions.