Après Noces de sang (1981), Carmen (1983), Sevillanas (1992), Flamenco (1995) et Salomé (2002), Carlos Saura renoue avec la danse flamenca dans son nouveau film intitulé Flamenco, Flamenco. En faisant défiler une série de tableaux où les grands maîtres et les nouveaux talents donnent à voir toute la virtuosité de leur art, le cinéaste espagnol peint une belle fresque du flamenco contemporain.
Flamenco, Flamenco s’ouvre sur la présentation du studio où se dressent différentes peintures représentant des danseuses de flamenco. Ces premières images de courbes sensuelles et de regards sombres introduisent progressivement le spectateur dans l’atmosphère du flamenco et inscrivent d’emblée la démarche de Carlos Saura dans une longue tradition d’artistes fascinés par cet art. Après cette introduction du dispositif cinématographique, qui rappelle par sa sobriété ceux des films Flamenco et Fados (les tableaux des peintres andalous en moins), le spectateur est invité à un voyage éclairé au cœur du flamenco. Le film ne s’appuie pas sur une histoire, à la différence de Carmen ou Tango ; mais il offre un parcours musical qui suit le cycle de la vie d’un homme le temps d’un cycle solaire. Carlos Saura explique son projet : « on commence avec la naissance (nana flamenca) dans la lumière puissante de l’après-midi ; l’enfance (les influences andalouse et pakistanaise des origines) dans les tons jaunes des soleils couchants ; l’adolescence dans la lumière du crépuscule et avec les palos les tons plus vifs et solides. Et progressivement, nous entrons dans l’âge adulte (le chant sérieux), dans les bleus intenses, les indigos, les violets. La zone de la “mort” (…) est pratiquement en noir et blanc, tirant vers le vert de l’espérance qui nous guide vers une nouvelle renaissance (…).»
Comme le souhaite son réalisateur, le film sert de vitrine aux manifestations artistiques et donne un aperçu du flamenco contemporain. Il est d’emblée placé sous le double signe de la tradition et de l’innovation puisqu’il présente une version rumba de Verde que te quiero verde, un des poèmes de Federico García Lorca les plus connus à la fois du flamenco et de la littérature espagnole ; en donner ici une version rumba, ce style venu du Cuba, est donc un symbole du dynamisme renouvelé du flamenco. Il en est de même avec le tableau, Dos Almas, où l’instrument à l’honneur n’est plus la guitare mais le piano. L’évolution du flamenco est encore plus flagrante dans la danse où certains artistes, comme Israel Galván, se libèrent de leur carcan et intègrent des pas plus proches de la danse contemporaine.
Le film présente les nouveaux talents du flamenco, mais il n’oublie pas pour autant les grands maîtres qui lui ont donné ses lettres de noblesse. Paco de Lucía, ce guitariste de génie, présent dès Carmen, puis dans Flamenco, interprète ici une étonnante bulería por soléa. Flamenco, Flamenco tisse ainsi un dialogue intéressant avec les précédents films du réalisateur, et plus particulièrement avec Flamenco. Farruquito, un des artistes qui ont le plus impressionné Carlos Saura, était déjà présent dans Flamenco : il avait à l’époque treize ans et accompagnait son grand frère. Dans Flamenco, Flamenco, on découvre son petit frère, El Carpeta, qui a le même âge que lui à l’époque de Flamenco. Les deux films sont construits sur un bel effet de symétrie qui fait prendre la mesure de l’évolution du flamenco en quinze ans : Flamenco, Flamenco s’ouvre avec Verde que te quiero verde, qui clôturait Flamenco ; et il s’achève par une bulería festive qui ouvrait son premier opus.
Carlos Saura travaille à nouveau avec le chef opérateur Vittorio Storaro. Les images sont très travaillées et semblent plus colorées et lumineuses que dans Flamenco. Elles sont parfois peut-être même trop belles, ou plutôt trop lisses, et donc trop glacées… Ou serait-ce la faute à certains artistes flamenco, trop apprêtés: certains vêtements et parures ne semblent pas aller ni avec la pureté du dispositif cinématographique fait d’écrans translucides et de miroirs, ni avec le cycle que Carlos Saura souhaite raconter. La caméra, quant à elle, n’entre pas toujours suffisamment dans la danse (contrairement à un film comme Carmen où le spectateur est entraîné, grâce à l’échelle de plans et les mouvements de caméras, dans la performance fascinante d’Antonio Gades et de Laura del Sol). Elle semble parfois rester en retrait, sans toujours exploiter les possibilités qui lui sont offertes, et donne ainsi l’impression de n’avoir affaire qu’à une représentation filmée.
Flamenco, Flamenco est un film honnête présentant de beaux tableaux lumineux où évoluent des artistes talentueux. Malheureusement, le duende, ce charme mystérieux et indicible propre à la culture flamenca, ne réussit pas toujours à percer l’écran et à entraîner le spectateur dans son tournoiement magnétique.