Comme nombre de films de l’époque, Holiday (parfois intitulé Vacances en français) s’inspire d’une pièce à succès de Broadway, qui fut jouée 229 fois en 1928 et fut l’objet d’une première adaptation cinématographique en 1930. George Cukor était déjà familier du genre, puisqu’il avait tourné en 1932 l’adaptation d’Une heure près de toi, puis en 1933 celle des Invités de huit heures. Le passage de la scène à l’écran convenait parfaitement à ce cinéaste d’intérieurs, passionné par l’étude psychologique de ses personnages et de leurs interactions dans un espace feutré. Deux ans après Sylvia Scarlett et deux avant Indiscrétions, il retrouvait deux de ses acteurs fétiches, Cary Grant et Katharine Hepburn pour un film amer au parfum doux et suranné.
Si George Cukor est légitimement considéré, à l’instar d’un Hawks ou d’un Lubitsch, comme l’un des maîtres de la screwball comedy à l’américaine, cela ne sous-entend en aucune façon que ses films ne reposaient que sur des ressorts comiques. Bien au contraire, comme nous l’avons étudié ici même à l’occasion d’une rétrospective Cukor à la Cinémathèque, l’humour cukorien se double toujours d’une vision pessimiste et acide de la nature humaine. Témoin ce Holiday, où un jeune homme amoureux mais pauvre, Johnny (Cary Grant), est confronté au milieu social richissime de sa dulcinée et tente de s’y faire accepter tout en gardant ses rêves d’adolescent, où l’argent n’a pas de place.
Le premier regard que porte Cukor sur la famille Seton dans laquelle débarque Johnny sans y avoir été préparé est plutôt sinistre. Voici Julia, la jeune fille aimée, tout de suite identifiable comme la demoiselle de bonne famille, qui refuse de se faire embrasser au vu de tout le monde et attend l’accord de son papa avant de se marier ; Linda (Katharine Hepburn), qui se décrit comme la « brebis galeuse », à la sensibilité à fleur de peau mais qui, à l’inverse de sa sœur, fait tache dans la famille ; le frère, Ned, qui noie dans l’alcool son mal-être ; et le père, autoritaire et incompréhensif, qui tue dans l’œuf toute velléité d’indépendance de ses rejetons. Au milieu de cette famille de fous, Johnny est la brise de liberté, le vent frais et régénérant qui va bousculer quelque peu le statu quo de cette famille d’un autre âge…
Holiday, comme souvent chez Cukor, est un quasi-huis clos, dont 85% des scènes se déroulent dans la maison Seton aux quatre étages et à la modernité ridicule (contemplant l’ascenseur privé qu’il vient de quitter et les escaliers, Johnny ironise : « J’aurais tout aussi bien pu marcher »). Une bonne partie du film se passe même dans une seule pièce : la salle de jeux, mémoire d’un temps heureux, refuge de Linda contre la triste existence qui l’attend, et seul espace d’expression du délire et de la comédie. En dehors de cet espace, c’est en effet le sinistre qui domine, de concordance avec le père, un homme incapable de comprendre le rêve, le désir de divertissement ou l’amour aveugle. Holiday mêle donc les pures scènes de comédie (rapidité d’enchaînement des répliques, burlesque, jeux de mots) et les séquences amères, qui résonnent toutes dans la voix tremblante et le comportement à la limite de l’hystérie de Katharine Hepburn, oiseau emprisonné dans sa cage et dont on aurait volé les ailes.
Dans cette lutte de classes jouant avec la caricature, George Cukor a clairement pris parti : d’un côté, voici les « pauvres » et leur joie de vivre communicative car simple, auxquels on permet les réflexions et les actions les plus tordues (Johnny, son couple d’amis et dans une certaine mesure, Linda); de l’autre, les « riches », égocentrés et tristes, dont les plus horribles représentants sont les cousins Seton, « l’abruti et la sorcière », que la bande de « pauvres » gratifie d’un salut nazi (ce n’est pas une coïncidence quand on sait qu’Holiday a été réalisé alors que la puissance hitlérienne atteignait son apogée et menaçait l’Europe). Le coup de foudre, sans aucun doute purement physique (Johnny s’extasiant plutôt sur la beauté de sa promise), liant le pauvre Johnny et la riche Julia est alors dès le départ voué à l’échec. Cukor donne vite à comprendre que les rêves de Johnny (partir en « vacances » le temps de comprendre pourquoi il travaille depuis qu’il a l’âge de 10 ans) ne sont pas en adéquation avec ceux de Julia.
Si le happy-end est évidemment de rigueur, il reste pourtant à la vision de ce très beau film une sensation morose et cynique, où la lutte des classes semble ne jamais pouvoir prendre fin, où seuls ceux qui partagent de mêmes désirs peuvent communiquer et décider de faire leur chemin ensemble. Plus que l’heureuse déclaration d’amour, presque évidente, de Linda à Johnny, on garde alors en mémoire l’impossible échappatoire du jeune frère, Ned, dont le seul choix imaginable est de donner à l’alcool la vertu d’exprimer sa rancœur et de rêver quelle aurait pu être sa vie s’il n’était pas si lâche.