Dernier film d’une longue et prolifique filmographie qui s’étendit des années 1930 aux début des années 1980, Riches et célèbres, caché derrière son scénario un peu trop roublard et son esthétique papier-glacé, n’est pas si anecdotique qu’il y paraît. Parfois cruel, souvent ironique, le film rappelle qu’à plus de quatre-vingts ans, George Cukor n’avait pas perdu la main pour les portraits de femmes acérés.
Depuis le bien nommé What Price Hollywood ?, l’un de ses premiers longs-métrages en 1932, à Riches et célèbres, George Cukor aura souvent porté un regard acerbe et ironique sur la célébrité hollywoodienne. Pathétiques, parfois suicidaires comme dans Une étoile est née, les personnages y sont souvent les sacrifiés d’un système qui se nourrit des égos pour broyer toute trace d’humanité. Riches et célèbres, sorti dix-sept ans après My Fair Lady – le dernier grand succès de Cukor – alors que le Nouvel Hollywood a définitivement pris le dessus dans l’industrie, ne porte plus cette veine mélodramatique et ce sens du romanesque comme il existait du temps de l’âge d’or des Studios : comme si, à l’image des deux héroïnes du film, le réalisateur avait renoncé à un sens tenace du détail pour traverser les années 1970 sous les cieux de la désillusion introspective, mêlant une amertume et une nonchalance qu’on ne lui connaissait pas forcément. Parfois suspecté de misogynie dans des films comme Femmes (1939) ou Une femme qui s’affiche (1953), il confronte ici deux amies-ennemies, écrivaines de renom et variablement auréolées de succès, qui s’en balancent plein les dents pendant près de deux heures sur les travers de la reconnaissance et les névroses qui découlent de la célébrité.
Liz Hamilton (Jacqueline Bisset) et Merry Noel Blake (Candice Bergen) se sont rencontrées sur les bancs de la fac. La première a entamé une brillante carrière d’écrivain, renonçant à son amour de jeunesse, Doug, que la seconde a épousé et suivi à Malibu. Elles se retrouvent quelques années plus tard : Merry sollicite Liz pour l’aider à rencontrer l’éditeur qui lirait son script. Pour la première, l’essai se solde rapidement par un succès, son roman devenant l’un des best sellers de l’année. La rivalité amoureuse faisait déjà rage entre les deux femmes, cette mise en concurrence sur le terrain de l’édition n’aura de cesse de raviver les rancœurs, révélant non-dits et frustrations, pérennisant l’image d’une amitié toxique où l’autre n’est qu’un faire-valoir, un miroir en trompe‑l’œil, un pont vers un passé rivé au hors-champ où tout semblait encore possible. Égocentriques, vaguement tyranniques, insatisfaites et un peu effrayées par une certaine idée du bonheur, Liz et Merry s’accompagnent sur une décennie, nourries par l’idéalisme solitaire de la première, l’arrivisme aigre de la seconde, bouffées toutes les deux par la conviction que l’une a toujours voulu vampiriser l’autre. C’est sur cette étrange relation cannibale, basée sur une amitié dont on ne comprend pas toujours les ressors, que George Cukor construit un film faussement aseptisé, précurseur dans sa manière de représenter l’hyper-individualisme en vogue dans les années 1980.
À revoir Riches et célèbres aujourd’hui, comment ne pas penser à l’esthétique du soap opera américain (comme Dynastie) qui connut une nouvelle heure de gloire au cours de la décennie ? Merry Noel Blake, nouvelle riche avec ses manteaux de fourrures et ses coiffures-choucroutes, ne craint pas le mauvais goût tandis que Liz Hamilton, présentée comme la plus intellectuelle des deux, disserte davantage sur ses peines de cœur que sur sa manière d’écrire. À l’étroit dans leur vie, elles semblent se battre en permanence pour occuper le centre du cadre, espérant tirer le film vers l’une plutôt que l’autre. Ironique lorsqu’il s’agit des portraits de femmes, George Cukor prend un malin plaisir à les voir se chamailler pour des broutilles, osant même en faire des mégères hystériques, comme par exemple lors de cette fameuse dispute stoppée net par la sonnerie du four. Les instantanés ne sont peut-être pas toujours très glorieux mais le réalisateur ne se gargarise pas pour autant de cette méchanceté qui lui tendait les bras. Par moments, que ce soit autour du personnage de Debby, la fille de Merry (première apparition sur grand écran de Meg Ryan), ou lorsque l’une doit être consolée d’une peine de cœur (une amourette qui périclite, un mariage qui bat de l’aile), George Cukor laisse éclore une tendresse suffisamment dosée pour ne pas sembler mielleuse. C’est dans cette étrange façon de refuser le bon sentiment qu’on perçoit la valeur fragile de ce Riches et célèbres, certes mineur mais parfaitement cohérent dans la filmographie de son auteur.