Réalisé juste après le célèbre Indiscrétions, A Woman’s Face, souvent proposé sous sa traduction française Il était une fois, fait partie de ces films mineurs, presque oubliés, que l’on redécouvre avec un étonnement certain. D’une belle élégance classique, le film est une célébration du glamour hollywoodien et n’hésite pas un instant à ériger la beauté des actrices comme argument de rédemption.
En un peu plus d’une décennie, George Cukor est devenu l’un des réalisateurs majeurs de l’industrie hollywoodienne. Directeur d’actrices hors pair, il accumule les succès au box-office, célébrant comme peu de réalisateurs à l’époque le glamour hollywoodien. Ce n’est pas pour rien qu’on lui confie un temps la mise en scène d’Autant en emporte le vent (1939), avant de la lui retirer, sous prétexte qu’il féminisait un peu trop cette histoire en portant toute son attention aux personnages de Scarlett et Melanie. Qu’importe, le réalisateur le plus raffiné d’Hollywood sort quelques mois plus tard ce qui reste l’un des modèles de la screwball comedy, Indiscrétions, offrant à un trio d’acteurs inimitables (Grant, Stewart, Hepburn) des rôles à la mesure de leur talent comique. C’est en toute connaissance de cause que les Studios décident de lui confier l’année suivante la réalisation du remake de Visage de femme de Gustaf Molander, film suédois réalisé trois ans plus tôt avec Ingrid Bergman. L’objectif est de remettre sur le devant de la scène Joan Crawford, dont la carrière connaît ses premiers signes d’essoufflement, avant son grand come-back en 1945 avec Le Roman de Mildred Pierce. Pour George Cukor, le terrain est déjà connu puisqu’il a récemment collaboré avec l’actrice, dans Suzanne et ses idées (1940) mais surtout Femmes (1939).
Seulement, celui qui s’était fait essentiellement connaître grâce à la réussite de ses screwball comedies (Holiday, Indiscrétions) et aux mélodrames en costumes (Les Quatre Filles du Dr March, Le Roman de Marguerite Gautier), se confronte ici à un nouveau genre : le mélodrame noir. S’il y connaîtra la consécration quelques années plus tard avec Hantise (1944), George Cukor eut du mal à obtenir les faveurs du public pour ce film qui ne connut à l’époque aucune nomination aux Oscars. Partiellement oublié et souvent considéré comme mineur, A Woman’s Face est pourtant loin d’être un film inintéressant. Au contraire, sorte d’apogée du classicisme de Cukor, le film multiplie les scènes d’anthologie et offre à Joan Crawford un rôle complexe et ambigu, à la hauteur de la légende qu’elle a fini par incarner.
D’abord aux antipodes de la garce / femme fatale qu’elle a incarnée tout au long des années 1930, Crawford incarne ici une femme au visage à moitié brûlé, ne supportant pas toutes les humiliations que lui apporte cette mutilation. Aigrie, pleine de rancœur, jalouse envers les belles femmes, elle vit de combines et d’arnaques, laissant transparaître un caractère d’une dureté sans égale. Mais au fond, la femme défigurée ne rêve que d’amour passionné et défaillit dès qu’un homme arrive à poser sur elle un regard autre que celui du dégoût. Une fois passée entre les mains d’un célèbre chirurgien plastique, elle recouvre toute sa beauté et tente de rompre avec une vie de malveillance pour trouver sa place parmi les semblables.
L’argument en soi a de quoi provoquer un sourire gêné. Les femmes ne peuvent-elles exister sereinement que si elles peuvent lire dans le regard des autres du désir et de l’admiration ? C’est à peu près le discours que tient sans grand détour George Cukor mais il en fait surtout ici une éloge du glamour typiquement hollywoodien qui s’attache à conférer à ses stars féminines (et même masculines) un halo de beauté qui n’a rien de réaliste. De garce repoussante et aigrie, le personnage joué par Joan Crawford deviendra l’incarnation même de cette beauté érigée en un modèle qui la faisait tant souffrir. Du coup, elle passe progressivement d’un univers sordide et réaliste (bien que servi par un noir et blanc extrêmement léché) à un univers typiquement hollywoodien où l’épique et le suspense ont toute leur place, à commencer par cette scène où dans un silence presque total, on retire les bandages à celle qui attend patiemment de découvrir les résultats de son opération. Cette étonnante suspension du temps, d’autant plus mise en valeur que le film s’articule autour d’un procès pour meurtre, est relayée dans d’autres scènes pour lesquelles Cukor fait preuve d’un brio exemplaire. Parmi celles-ci, on retiendra la tentative de meurtre d’un enfant sur un téléphérique ou encore une folle course-poursuite à travers les paysages enneigés. Loin d’être un film oubliable, A Woman’s Face, s’il n’a pas la force des chefs d’œuvre de Cukor, n’en a pas moins la grâce des petits films élégants qui doivent être absolument redécouverts.