On ne change pas une équipe qui gagne… tout. Et surtout pas quand cette équipe réunit l’élite d’Hollywood : en vrac, l’indéboulonnable Cedric Gibbons de la MGM à la direction artistique, le génial William H. Daniels à la photo, le prolifique David Raksin à l’accompagnement musical et le couple à la ville comme au scénario Gordon/Kanin (à qui l’on doit de nombreuses comédies à la fois spirituelles et engagées). Les vedettes de cette dream team (puisqu’il en faut toujours) se connaissent bien, et pour cause : Cukor a tourné cinq films avec Katie Hepburn – sa muse et son actrice préférée –, deux avec Spence Tracy et trois avec le couple. Une vraie petite famille de cinéma…
Katharine Hepburn et Spencer Tracy : l’histoire est bien connue, elle se résume en quelques chiffres. 1941 : première rencontre sur le plateau de La Femme de l’année et coup de foudre presque immédiat. Neuf films marqueront cette relation on et off screen, qui dura trente ans, jusqu’à la mort de Spence, quelques jours après la fin du tournage de Devine qui vient dîner ? (Guess Who’s Coming to Dinner, 1962). Leur histoire d’amour ne tarda pas à s’inscrire au tableau des légendes hollywoodiennes, et les personnages qu’on leur proposait s’inspiraient souvent de leur véritable personnalité : lui, bourru, renfermé ; elle, excentrique, incontrôlable. Les plus beaux couples de cinéma se nourrissent de cette incompatibilité première, forcément résolue au profit de l’inévitable – mais jubilatoire – happy-end.
L’intrigue de Mademoiselle Gagne-Tout ne déroge pas aux règles établies de la screwball comedy, fin mélange de romance contrariée et de burlesque. Katharine est Pat, joueuse de tennis et de golf exceptionnelle qui perd tous ses moyens lorsqu’elle sait que son fiancé fadasse la regarde. Spencer est Mike, entraîneur sans scrupules, qui reconnaît le talent de la jeune femme, et se met en tête de lui faire signer un juteux contrat. A priori, tout les sépare. Elle croit dans les valeurs du sport, lui ne cherche (prétendument) qu’à gagner de l’argent. On ne vous en dira pas plus… puisque l’intrigue n’a finalement aucune importance.
Le cœur de Mademoiselle Gagne-Tout, c’est d’abord son texte, pionnier en matière de répartition des tâches dans le ménage. Dans la droite ligne de leur Madame porte la culotte, Ruth Gordon et Garson Kanin signent un scénario résolument égalitaire – sans aucune pointe de féminisme. Pat n’a pas l’intention de se laisser marcher sur les pieds ; elle trouve son alter ego en Mike, qui propose « en affaires comme en amour », de tout partager : la fameuse règle du 50 – 50 ! Un principe qui correspondait pleinement à la personnalité de miss Hepburn – l’une des premières actrices américaines à afficher son goût pour les pantalons – et à celle du grand Cukor, qui, bien qu’il prétendait s’en moquer, appréciait les engagements de son actrice fétiche. Ce n’est pas pour rien, d’ailleurs, qu’on le consacra « metteur en scène préféré des femmes » ! Ainsi, Mike peut-il bien se permettre une remarque misogyne (« pas beaucoup de viande, mais c’est du premier choix », s’exclame-t-il en rencontrant la jeune femme pour la première fois), car Pat le remet vite à sa place question virilité : lorsque son entraîneur est menacé par une bande de malfrats (dont le costaud Charles Buchinsky, alias Charles Bronson), elle vole à son secours, assommant les agresseurs avec une terrifiante facilité.
Certes, la comédie est moins enlevée qu’autrefois, au bon temps de La Femme de l’année (Woman of the Year, de George Stevens) et surtout, de Madame porte la culotte (Adam’s Rib, du même Cukor), leur chef d’œuvre incontesté. Pinkie et Pinky ont-ils fini par vieillir ? Se fatiguent-ils désormais trop vite de jouer la comédie ? À voir le personnage de jeune sportive prodige qui lui est ici confié, miss Hepburn n’a-t-elle pas pensé qu’à 44 ans, elle risquait d’être peu crédible ? Il semble plutôt que ce soit la machine made in Hollywood qui ait des ratés. Malgré quelques effets originaux – et notamment le moment du match de tennis, où, s’apercevant de la présence de son fiancé, Pat se met à avoir des hallucinations –, Mademoiselle Gagne-Tout ne décolle pas de l’honnête moyenne des comédies de l’époque et n’atteint jamais les sommets des meilleurs Cukor.
Pas de quoi pourtant se priver d’assister aux hilarantes scènes de ménage entre « Sac d’os » et « Old Man ». Magique, on vous dit.
N.B : Nous avons ici conservé le titre français original, pitoyable et totalement incohérent, là où le titre anglais se suffit d’un sobre Pat et Mike. À quand une traduction honnête des titres de films étrangers ?