Les Éditions Montparnasse poursuivent leur travail d’exhumation de classiques injustement oubliés, notamment grâce à leur collection RKO. Parmi les derniers titres édités, What Price Hollywood? (1932), l’un des premiers films de George Cukor où il fait déjà preuve d’une cruelle ironie pour dépeindre les ravages de l’industrie du rêve.
Au moment de la sortie de What Price Hollywood ? en 1932, George Cukor est un nouveau venu au sein de l’industrie de divertissement américaine. Alors qu’il a tout juste trente ans, le jeune réalisateur profite de l’avènement du parlant (et du retrait de certains metteurs en scène) pour se voir confier des projets ambitieux et collaborer avec des acteurs (et surtout des actrices) qui seront les gloires de demain. Ironique, un brin cruel et misogyne, Cukor a toujours porté un regard sans concession sur les affres de la célébrité et du façonnement des stars, ses adaptations musicales d’Une étoile est née (1954) et My Fair Lady (1964) en étant probablement les plus brillantes démonstrations. Pourtant, quelques décennies avant la mise en concurrence du septième art par la télévision, le réalisateur s’attaquait déjà aux dérives d’une machine à rêves. Avant lui, peu de réalisateurs avaient déjà eu ce regard réflexif sur le système hollywoodien, à l’exception notable de King Vidor qui, avec l’excellent Mirages (Show People, 1930), prenait un malin plaisir à humilier Marion Davies en jeune actrice parvenue.
Une star d’Hollywood croise le chemin d’une jeune débutante en mal de reconnaissance : destins croisés, gloire pour l’une et déchéance pour l’autre. Le canevas est connu de toutes les générations, même les plus jeunes ; la preuve en est le succès colossal qu’a rencontré The Artist de Michel Hazanavicius l’année dernière. Sauf que dans What Price Hollywood ?, dont le titre annonce clairement la couleur en mettant de côté toute dimension artistique, ce passage-relais entre une star naissante et l’autre déclinante n’est en aucun cas régi par une histoire d’amour. Le relatif vent libertaire qui souffle tout au long du film (les années folles viennent de s’achever, le code de censure américain n’a pas encore tout à fait pris ses marques) laisse même supposer que le réalisateur vieillissant est homosexuel (comme Cukor lui-même) et que la gloire ne lui laisse que pour seul compagnon l’alcool. Loin du cynisme qu’on prêta au réalisateur de Femmes par la suite, tout l’enjeu dramatique du film repose donc sur l’empathie, celle d’une actrice reconnaissante pour un mentor en qui plus personne ne croit.
Regard lucide sur une industrie qui renie sans rougir ceux qui ont fait sa puissance, What Price Hollywood? est hanté en permanence par la pulsion suicidaire au point de faire du présent film un élégant écrin mortuaire dont personne ne peut sortir indemne. L’habileté du montage, conjugué à un étonnant travail sur l’espace (qui sera à nouveau à l’œuvre dans Hantise en 1944), permet de faire du climax un sommet d’émotion, de quoi faire oublier un épilogue plus consensuel sur l’issue positive d’une histoire d’amour contrariée (exigence des studios, probablement). En sus, le film a une belle valeur documentaire sur Hollywood elle-même : au cours d’une scène de tournage, George Cukor se laisser aller à une troublante mise en abyme qui démystifie autant qu’elle célèbre l’art du faux et de la représentation. L’obstination dont la jeune actrice fait ensuite preuve pour trouver le mouvement et le ton justes n’en est qu’un aboutissement réjouissant. Il serait donc dommage de ne voir dans ce film qu’un portrait au vitriol. Au contraire, Cukor assume en quelques sortes une déclaration d’amour ambiguë à Hollywood en rendant hommage à ceux que la machine a broyés. Une troublante manière de remettre un peu d’humain au milieu de toute une fantasmagorie, en somme.