To hustle : bousculer, magouiller, « monter des coups », arnaquer, racoler, tapiner. Hustle, c’est le titre original de ce film de Robert Aldrich qui réalise en 1974, vingt après The Big Knife (Le Grand Couteau) et Kiss Me Deadly (En quatrième vitesse), un polar zigzaguant qui met en scène, dans un scénario à hue et à dia, les affres d’un drôle de flic, inhibé et impulsif, face aux turpitudes de la vie moderne. Corruption de la justice et du pouvoir, parents défaillants, racisme endémique de la société américaine, meurtre et mensonge sur fond de libération des mœurs… Il faut toute l’expérience d’un Robert Aldrich, son talent et, sans doute, une bonne part de culot pour parvenir à faire tenir debout un tel édifice.
À contre-emploi
Il faut aussi les épaules solides de l’acteur viril et physique du moment – Burt Reynolds, encore auréolé des succès de Délivrance et du précédent long-métrage d’Aldrich, où il tenait déjà la vedette : Plein la gueule (The Longest Yard). Mais un Burt Reynolds à contre-emploi : à l’inverse de l’inspecteur Harry, qui a déjà commencé sa belle carrière sous les traits de Clint Eastwood, Phil Gaines, flic ombrageux et amoureux plongé dans un monde hostile, est sans cesse confronté à ses propres faiblesses. Pour montrer la violence protéiforme qui contamine et condamne tous les échanges entre les individus – qu’ils soient amants, parents, ou collègues de patrouille – Aldrich met en scène un personnage décalé, « d’un autre temps », un butor empêtré dans ses contradictions, dans ses scrupules et dans ses idées reçues (ah ! la dolce vita à Rome ! l’amour à Paris !). Quoique brutal (il gifle celle qu’il aime et tire à bout portant sur un homme à terre), il n’a de cesse de prôner la non-violence, quitte à sacrifier la recherche de la vérité ; lâche, il dépassera ses réflexes cyniques ou désabusés pour rétablir in extremis une forme, peu convaincante au demeurant, de justice humaine.
L.A. Confidential
Rien n’est linéaire ni transparent dans Hustle, qui tient à la fois de la romance, du polar et de la chronique plus morale que sociale sur l’Amérique des seventies. Sur une trame de whodoneit assez banale (qui est le tueur de la jeune femme retrouvée morte sur la plage ?), Aldrich crée une galerie de personnages forts, complexes, et met en scène leurs tourments dans un constant va et vient entre l’efficacité du film de genre et la profondeur de la fable. Au centre de cette construction, qui peut paraître bancale à certains égards (Hustle n’a pas l’évidence des vieux chefs d’œuvre d’Aldrich), il y a l’obsession, assez passionnante, de son auteur pour la « violence des échanges en milieu urbain ». En mode majeur ou mineur (l’épaisseur des personnages secondaires, incarnés par de très bons acteurs, est l’occasion de quelques scènes d’une belle intensité dramatique), les questions que pose Aldrich dans cette enquête cousue de fil blanc assument leur lot de contradictions : comment aimer celle dont le métier est de faire l’amour à tout le monde ? Comment rétablir la vérité sans violence ? Où trouver l’énergie de refuser l’injustice inhérente à l’espèce ?
Tous coupables
Pas de gravité excessive ni de vision puritaine toutefois dans Hustle, qui opère dans un entre-deux narratif et éthique troublant, une ambiance instable qui change sans crier gare de tempo comme de tonalité et où surgissent de beaux moments de tension tragique (extraordinaire Ben Johnson !). Le monde de Hustle, grivois jusqu’au graveleux, plein de ricanements sans joie, ne prétend pas être édifiant : Aldrich ne s’embarrasse pas d’un récit aux enjeux et aux contours parfaitement bordés – il lui préfère ceux, peu nets voire franchement louches, de consciences toutes un peu coupables. À l’écran, cet entre-deux prend souvent la forme d’une obscurité inquiétante, sans contraste, qui dévore le cadre dans des séquences nocturnes où les visages gagnent en profondeur ce qu’ils perdent en netteté. Hustle constitue, malgré ses défauts ou peut-être avec eux, une belle réflexion sur la justice et la vérité que chacun se doit à soi-même et à autrui.