Pour son cinquième long-métrage, Robert Aldrich reprend la même trame que pour Le Grand Couteau, sorti un an plus tôt. Que ce soit à Hollywood ou sur un champ de bataille, le réalisateur ne cesse de nourrir sa réflexion sur les rapports houleux entre un homme d’une intégrité exemplaire et une hiérarchie qui lui nie son droit de conscience. Plutôt méconnu, Attaque ! est un film âpre et dépouillé qui parvient malgré quelques archétypes à imposer une vraie vision du monde.
Inspiré d’une pièce de Norman Brooks, scénarisé par James Poe, Attaque ! – s’il n’est que le quatrième film de Robert Aldrich – est pourtant le pur produit de son auteur. Éternel trublion à Hollywood depuis ses débuts derrière la caméra, celui qui se distinguait par une esthétisation sèche et frontale de la violence (physique ou psychologique) n’a jamais cessé de déconstruire les mythes (Hollywood, en premier lieu) et les institutions. Si l’un de ses plus grands succès est apparenté au film de guerre (Les Douze Salopards, 1967), Attaque !, sorti une dizaine d’années plus tôt, n’est pourtant pas le plus connu de ses films, en dépit des thèmes qui y sont abordés : l’honneur, l’intégrité et la trahison, traités sans moralisme ni complaisance, constituent la colonne vertébrale d’une filmographie atypique, qui aura parfois pêché à tenter d’illustrer trop systématiquement la part d’ombre de chaque individu. Précédant de quelques années quelques films majeurs sur les absurdités hiérarchiques de l’armée (Les Sentiers de la gloire de Kubrick en 1957, Pour l’exemple de Losey en 1964), Attaque ! met en scène le lieutenant Joe Costa (Jack Palance, déjà au générique du génial Grand Couteau), confronté à l’incompétence et à la lâcheté de son supérieur, le capitaine Erskine Cooney (Eddie Albert), dont les erreurs sont plus ou moins couvertes par le lieutenant-colonel Clyde Bartlett (Lee Marvin).
Si quelques scènes sont savamment mises en scène avec une économie de moyens exemplaire, ce qui intéresse évidemment Aldrich n’est pas le nerf central de la guerre : le combat dans ce qu’il peut avoir de spectaculaire. Le front constitue ici un espace clos, déconnecté des grandes instances politiques et idéologiques. Pourtant, nous sommes au cœur de la Seconde Guerre mondiale et l’engagement de ces quelques hommes dans une lutte contre le nazisme n’est pas une abstraction (notamment lors de la confrontation avec un SS). Mais l’enjeu du film est ailleurs : il se situe dans le rapport de force qui oppose un lieutenant à son capitaine dans ce qui est identifié par l’un comme un profond manquement au devoir. Cette quête d’une vérité, incarnée ici par Jack Palance qui avait déjà prêté son physique de boxeur à l’acteur intègre du Grand Couteau, devient le moteur d’une tension où chaque mise en situation est scrutée de manière clinique par le réalisateur. Dans un noir et blanc très épuré, Robert Aldrich multiplie les plans frontaux sur ses personnages, ne perdant rien de cette violence psychologique qui régit les relations hiérarchiques. Sorte de huis-clos le plus souvent à ciel ouvert, Attaque ! obstrue toutes les perspectives pour mieux confronter les personnages aux choix qui s’offrent à eux et à leur propre conscience.
L’habileté avec laquelle le réalisateur mène son récit est indéniable et l’efficacité narrative semble d’autant plus évidente que la violence psychologique ne repose jamais sur l’étirement-épuisement de certaines confrontations. L’approche politique est ici mise explicitement au service d’un idéal ardemment défendu par Aldrich (en ces temps où le maccarthysme faisait encore des dégâts et où le pire ennemi n’était pas forcément celui que l’on croyait). À ce titre, le portrait à charge du capitaine Erskine Cooney manque peut-être parfois de nuances, surtout en comparaison des personnages incarnés par Palance et Marvin, infiniment plus ambigus, et ne sauve pas complètement le film d’un schéma manichéen (avec distribution de bons et mauvais points) comme Hollywood en raffolait à l’époque. Cette limite se prête d’autant moins à l’univers d’Aldrich que le film ne cherche en aucun cas à couvrir l’insoumis de lauriers réparateurs. Au contraire, chez le cinéaste, l’intégrité mène la plupart du temps à un sacrifice circonstancié (Le Grand Couteau, Pas d’orchidées pour Miss Blandish) qui ne fait du héros qu’un simple martyr anonyme, mort pour avoir fait de son corps l’ultime arme politique dans un combat dérisoire pour la justice.