Si La Nuit des morts-vivants, célèbre midnight movie et coup d’essai de George A. Romero, est entré dans l’histoire du cinéma pour avoir popularisé la figure mythique du zombie, il constitue avant tout un modèle de film de siège où une demeure isolée devient le théâtre d’une lutte pour la survie. Reste qu’avant de claquemurer ses personnages – ils le seront de fait une grande partie du film –, Romero dissémine nombre de signes nuançant la distinction, induite par le titre, entre les vivants et les morts-vivants. Situé peu après l’ouverture, un plan en particulier pointe une tension entre surface et profondeur : une voiture arrive à l’orée d’un cimetière où se dresse un drapeau américain surmonté d’une flèche en direction du ciel. Planté au milieu des tombes, il coupe perpendiculairement l’axe terre-ciel, de sorte que l’orientation de l’étendard dans la composition du plan annonce non seulement la résurrection des morts, mais aussi la dimension politique qu’implique la confrontation entre les vivants et les revenants. Les États-Unis de 1968 sont ainsi au cœur de La Nuit des morts-vivants, qui ne se laisse pour autant pas enfermer dans une métaphore trop littérale.
L’Autre et la lumière
C’est par le truchement de flashs lumineux que le film inscrit d’abord le zombie dans la fable politique, de sorte que l’apparition de la figure fantastique se fait selon des modalités qui permettent de le rapprocher d’une autre altérité : le personnage de Ben est en effet incarné par Duane Jones, un acteur afro-américain. Le premier flash survient ainsi alors que Barbara (Judith O’Dea) et son frère Johnny se recueillent sur la tombe de leur père. La lumière d’un éclair éblouit soudainement le visage de ce dernier, amorçant un contrechamp via lequel se dessine la silhouette du premier zombie – bien que les deux personnages le prennent dans un premier temps pour un simple passant. Cet éclat lumineux fait basculer le film dans l’horreur (le mort-vivant ne tardera pas à en finir avec Johnny). Le second flash advient quelques minutes après et répond aux mêmes caractéristiques que le premier. Bouleversée par la vision d’un cadavre dans les escaliers de la maison assiégée, Barbara se rue vers la sortie pour se retrouver prise dans le faisceau des phares d’une voiture. Hagard, Ben fait alors irruption à la droite du cadre, comme amené par la lumière, et semble faire l’objet d’un sentiment de défiance de la part de Barbara. Tous deux médiés par la lumière, le personnage afro-américain comme le zombie se présentent comme des altérités radicales pour ceux qui leur font face.
Partant d’une configuration opposant intérieur et extérieur, mais aussi vivants et morts-vivants, l’écriture n’aura de cesse de complexifier les rapports spatiaux. Au mitan du film, Romero introduit par exemple pas moins de cinq nouveaux personnages, jusqu’ici réfugiés dans une cave, dont l’émergence rejoue au sein même de la maison le déterrement des zombies. De même, la morsure de Karen, la fillette du couple Cooper, abolit la séparation initiale entre zombies et humains, en donnant naissance à un monstre au sein du groupe. Une indistinction qui trouve son acmé dans l’ultime assaut des revenants : tandis que Ben, armé d’un fusil, cherche à les empêcher de franchir le palier de la porte, Harry s’empare de l’arme et le met en joue, comme si la défense des lieux et de la communauté importait moins que de désarmer le seul Noir. L’absurdité de ce geste renseigne sur le projet véritable de Romero, qui voit dans cette communauté formée dans l’urgence une véritable poudrière qui doit, bon gré mal gré, organiser sa propre survie. C’est que le film, tourné en pleine guerre du Vietnam et quatre ans après l’adoption en 1964 des lois sur les Droits Civiques, est assurément une allégorie – non sans limite puisqu’elle s’applique moins aux zombies qu’aux vivants – de l’Amérique de la fin des années 1960. Au même titre que les assaillants de la maison, Ben se voit, de manière injustifiée, désigné comme un danger potentiel (notamment par Harry, père de famille conservateur).
Le brasier
C’est d’ailleurs ce que souligne la fin glaçante, au cours de laquelle Ben, après avoir tenu le siège toute la nuit, est froidement abattu par une milice locale incapable de le distinguer d’un zombie. Son cadavre est alors jeté aux côtés de l’un des morts-vivants, également abattu d’une balle dans la tête. Introduits par la lumière, Ben comme les zombies finiront dévorés par un brasier. Le Noir comme les monstres sont ainsi les victimes interchangeables d’un système arbitraire et violent – la lutte des personnages se voit rythmée par la radio et la télévision qui préconisent une violence légitime (des hommes armés expliquant avec sang-froid qu’il faut abattre les zombies d’une balle dans la tête). Les campagnes de la police locale et des miliciens évoquent dès lors moins le retour à l’ordre tant espéré qu’une ratonnade, analogie entérinée par les derniers plans figés qui convoquent une imagerie documentaire d’une troublante actualité.